Perspectivia

[s. l. ][Potsdam ]ce 23[ novembre ][eigenhändig von Wilhelmine: ]1755

Ma tres chere Soeur.
Je suis bien faché d’aprendre par Votre lettre que Vous soufréz tantot des yeux[,] tantot d’autres Jnfirmitéz, je me flatais que le Voyage les auroit en grande partie Dissipéz,[.] je suis bien Éton[n]é, Ma chere soeur, que Vous Vous etes ennuyée pendant trois jours a lire mes bavarderies poetiques; j'ai regret au tems que j'ai employé a ces Sotisses, j'en ai encore tout un fatras; mais, enverité, il est Si mauvais, que je n'ai pas Le Coeur de Vous L’envoyér[.] j'ai beaucoup de piesses fugitives mais qui ont besoin de beaucoup de Correction avant de Vous etre presentéz, Je verai ce que je pourai faire cet hivér pour Vous obliger; il ya, entreautres, un poeme Epique dont Valori et Darget sont Les sujets; mais il est Si Licentieux, et dailleurs si mal ourdi[,] que je n'ai pas Le Courage de le soumettre a votre examen, ce sont des piesses faites à la Hate, ou je n'ai pensé qu'à mon amusement, et où je n'ai jamais pensé au public, mon seul objet était de m'occuper pendant quelques moments de loissir, et jamais de me placér sur le parnasse; je sais asséz me rendre justice, et je sens par la memeraisson que ce qui m'a pu amuser par le Charme de la composition n'amusera pas Ceux qui Conoissent [connaissent ]de bons vers, et ne se familliariseraient point avec les accents durs de ma muse tudesque travestie en français. Il est presque imposible a un Alement [Allemand ]habitué aux fins fonds de l’allemagne de ne pas faire des Solecismes [solécismes ]frequents, ni de ne manquér souvent contre les Usages d'une Langue qui, pour la plupart, est Corompue dans ces contrées-ci, il ne reste donc a une poésie privée des puretéz de la | Langue que quelques traits d'imagination qui ne font d'efet que celui des figures qu'on entrevoit dans un vieu tableau bruni et a demi écaillé; permetez moy donc, ma chere Soeur, d'employér Les ratures, et Les Corections, autant que je pourai y metre du tems pourque les bagatelles que Vous me demandéz soient moins informes, et pour que mes petits ne se presentent que bien léchéz devans Vous.
Je fais mile Voeux pour l’entiér retablissement de Votre sante Vous pryant de me croire avec une tendresse a tout epreuve[,]

Ma tres chere Soeur[,]
Votre tres fidele frere et serviteur

Frederic