Perspectivia
Lettre1865_10
Date1865-05-19
Lieu de créationFrancfort [sur le Main]
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesMüller, Victor
Burnitz, Karl Peter
Ritter, Francine
Schrecker, Otto
Schreyer, Adolphe
Lieux mentionnésParis
Munich
Francfort-sur-le-Main
Kronberg im Taunus
Œuvres mentionnéesS Gemüseverkäuferin - Marché aux légumes/ Gemüsemarkt (marchande de légume)
S Stilleben mit Wild und Geflügel (nature morte avec gibier et volaille)
S Jäger und Hirsch (chasseur et cerf)
F Le toast et La vérité

Francfort [sur le Main]

19 mai 1865

Mon cher Fantin,

Pardonnez-moi que j’ai tardé jusqu’aujourd’hui de répondre à votre lettre et de vous remercier pour toutes vos bontés. J’ai bien regretté que votre marchand de tableaux a fait ce dérangement et que vous avez alors encore des dépenses laissées pour moi, je vous prie bien de m’envoyer la note de tout ce que vous avez dépensé pour mes tableaux et j’espère que vous ferez cela bientôt. La dépêche télégraphique m’a fait bien plaisir ou au moins m’a enlevé un peu le chagrin. Chaque jour, je voulais vous écrire et chaque jour il y avait autre chose à faire n’est-ce pas vous me pardonnez ?

J’attends avec inquiétude votre lettre dans laquelle vous me parlerez plus long de l’exposition, mais mon cher, je n’ai pas entendu de bonnes choses de cette exposition et c’est bien naturel qu’on n’a pas présenté les bonnes choses mieux que les mauvaises, enfin tout le monde a le même sentiment, c’est que l’art à Paris ne fait pas de progrès et est plutôt en déclin et moi je le crois aussi, car il n’est pas possible que le véritable artiste puisse y arriver à quelque chose, vous ne pouvez pas croire combien cela me rend triste, c’est vraiment un grand malheur pour nous et il n’a pas l’aspect comme si cela changerait bientôt, enfin espérons toujours, cela arrivera peut-être un jour ; d’une fois comme autres sont aussi arrivés si rapidement à Paris et viendront encore. C’est partout presque la même chose, cependant il me semble qu’en Allemagne, on commence à s’occuper un peu de la bonne peinture, au moins cela fait plus d’effet qu’autrefois ; mais cela ne veut rien dire, c’est la même chose, si le gouvernement ne changera pas partout, l’art ne changera non plus, j’en suis persuadé.

Je pense que cela vous a fait de l’effet quand vous avez découvert mes tableaux à l’exposition, cela vous a dû faire un drôle d’effet. Oui, c’est difficile de peindre pour une exposition, je voudrais bien voir votre tableau,Le toast ! Hommage à la Vérité représentait autour d’une table Manet, Bracquemond, Vollon, Cordier et Whistler, les camarades habituels de Fantin. Le peintre lui-même montre à ses amis la figure de la Vérité et les engage à lui porter un toast. Fantin allait finalement décider de détruire son œuvre à la suite du Salon. vous dites que vous n’en êtes pas content mais il est impossible de peindre pour un si grand point de vue, il faudrait faire de la décoration alors, moi je trouve que la peinture faite pour la voir de près, c’est ce qui intéresse l’artiste et celui qui s’intéresse pour la chose, je vous dis une exposition de tableaux est la chose la plus insensée du monde, une institution barbare vraiment, dégoûtant, les artistes devraient songer à inventer autre chose pour qu’on puisse voir leurs tableaux ; oui, c’est mille fois mieux les exposer dans une boutique, on peut bien les voir et n’en a pas trop. J’ai exposé ici mon tableau du chasseur à l’expos. permanenteScholderer, Jäger und Hirsch, B.48. et j’ai fait encore l’observation quelle terrible chose qu’une exposition.

Je suis content de mon dernier tableau,Vraisemblablement Scholderer, Jäger und Hirsch, B.48. je trouve que j’ai fait des progrès depuis les légumes,Scholderer, Gemüseverkäuferin, B.47. car il est bien plus ensemble, les légumes se séparent encore trop, trop petits morceaux ; depuis ce temps, j’ai fait encore d’autres natures mortes entre autre un lièvreScholderer, Stilleben mit Wild und Geflügel, B.19. qui n’est pas mal, comme peinture la meilleure que j’ai faite, enfin on doit toujours être content quand on fait des progrès, n’est pas vrai ? Mon cher, je ne crois pas que je viendrai pendant l’exposition à Paris, je n’ai pas encore d’argent, point du tout et je ne peux pas remuer de Francfort, je tâcherai de le faire le plus tôt possible, c’est tout ce que peux faire.

Müller veut quitter Francfort et aller à Munic, il croit y trouver mieux sa position, alors je resterai seul avec Burnitz, celui-ci ira peut-être aussi à Munic, mais plus tard ; moi je ne veux pas y aller, je ne crois pas que c’est une place pour moi, aussi j’aime bien mieux Paris et je crois toujours encore que c’est pour moi le meilleur endroit.

Connaissez-vous Schreyer ?Adolphe Schreyer (1828-1899), peintre allemand. Après s’être formé à Francfort-sur-le-Main et à Düsseldorf, il s’installe en France de 1861 à 1870. A partir de la fin des années 1850, il séjourne régulièrement l’été à Kronberg et prend finalement la décision de s’y installer après 1870. En 1864, l’État français lui achète Chevaux cosaques irréguliers par un temps de neige, huile sur toile, 192 x 300 cm, Bordeaux, musée des Beaux-Arts et en 1865, La charge d’artillerie de la garde impériale à Traktir, en Crimée, le 16 août 1855, 1865, huile sur toile, 206 x 43,5 cm, Paris, musée d’Orsay. Ces deux œuvres seront exposées au musée du Luxembourg. Comment trouvez-vous ses choses ? C’est aussi un Francfortois, c’est un très bon homme et a aussi un certain talent, mais ce n’est pas très grand. Madame Ritter m’a écrit l’autre jour, la voyez-vous quelquefois ? Ecrivez-moi bientôt et ne m’en voulez pas que je suis si paresseux, je vous en prie écrivez-moi bientôt et bien détaillé toute votre opinion sur l’exposition sur mes tableaux et ceux de Müller enfin tout, tout ; aussi je vous prie de m’envoyer les journaux qui s’occupent de la critique sur l’exposition, mais ne les affranchissez pas et non plus vos lettres, vraiment mon cher je vous fais toujours des dépenses et vous me forcerez à ne plus rien vous demander. Maintenant adieu, ne me laissez pas attendre trop longtemps.

Votre ami

O. Scholderer