Perspectivia
Lettre1873_04
Date1873-06-02
Lieu de créationLondon 17 Greek- St. Soho
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Edwin
Edwards, Ruth
Cazin, Jean-Charles
Legros, Alphonse
Whistler, James Abbott MacNeill
Dubourg, Victoria
Morrison, Monsieur
Morrison, famille
Powerscourt, vicomte
Durand-Ruel, Paul
Thoma, Hans
Manet, Edouard
Fortuny y Carbó, Mariano-Jose-Maria-Bernardo
Millet, Jean-François
Ritter, Francine
Ritter, Monsieur
Fantin-Latour, Jean-Théodore
Reignier, Jean-François
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Londres
Paris
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF Nature morte  : coin de table
F Portrait de Victoria Dubourg
S Zwei kleine Vögel (deux petits oiseaux)
S Pfau mit Hasen (paon et lièvre)
S Reh mit Fischen (chevreuil et poissons)
S Schnee im Schwarzwald (neige dans la Forêt-Noire)

London 17 Greek- St. Soho

2 juin 1873

Mon cher Fantin,

C’est encore à vous de vous plaindre que je n’écris pas. C’est peut-être parce que je sais que vous allez bien, ce que Edwards m’a dit, qui me donne des nouvelles de vous. Maintenant qu’il est avec vous, il vous racontera tout ce qu’il sait de moi et ce qui pourrait vous intéresser. Je vais bien et dernièrement je gagne un peu d’argent, ce qui est très agréable et a une bonne influence au travail. Un beau temps clair a fait place à l’affreuse tristesse et obscurité de l’hiver, et a contribué à ce que je me trouve mieux, ma santé est devenue meilleure. J’espère toujours un peu à vous voir ici à Londres, peut-être cela vous ferait-il du bien, si ce n’est que pour une semaine ou deux ; en même temps vous avez besoin de prendre un peu de repos. Venez et ne craignez pas trop vos amis. Je suis maintenant sur les meilleurs termes avec les Edwards et ils sont très complaisants pour moi. Vous aurez vu sans doute son œuvre des « Inn’sEdwin Edwards a conçu l’idée d’un livre sur les vieilles auberges de l’Angleterre. Il a écrit son texte à l’eau-forte, sur de grandes pages in-folio, qu’il a parsemées de dessins à la pointe. La première partie seule en a été terminée. » qui est très réussi, et je crains qu’il va avoir beaucoup de succès avec cela, il en a eu déjà parmi les artistes. Comme j’ai été toujours, je suis bien avec les autres ; je vois de temps en temps Cazin, Legros, chez Whistler je n’étais plus depuis la première fois,Voir lettre 1872_02. il demeure très loin et je suis très paresseux.

J’ai entendu qu’on vous a mal placé au SalonFantin a exposé au Salon de 1873 Nature morte : coin de table, F.671 et Portrait de Victoria Dubourg, F.647. La nature morte a été accrochée au-dessus d’une porte. et je ne me suis pas étonné de cela, tout ce qu’on entend de Paris paraît faire des pas en arrière, du haut jusqu’en bas, cependant je ne connais pas les membres du jury, mais je me les figure toujours comme des Jacquemarts, des Daubignies. Je ne sais pas si vous avez exposé le portrait de Mlle Dubourg,Fantin-Latour, Portrait de Victoria Dubourg, F.647. vous avez eu l’intention ? Moi, je suis refusé à la Royal Academy, mais cela se comprend comme je suis étranger, il faut que je l’essaie de nouveau l’année prochaine, mais je crois j’aurai le même sort.

Dans ma peinture, je suis sorti un peu de la gamme claire et j’ajoute un peu de force à mon ombre, ce qui me rend la peinture bien plus facile, cependant j’éprouve qu’il faut que je revienne au premier, seulement cela doit venir sans efforts, je crois que j’ai fait un progrès en me laissant aller plus. Edwards vous racontera d’une nature morte que j’ai faite pour M. Morison, un paon avec des lièvres,Scholderer, Pfau mit Hasen, vendu à la famille Morrison, amis des Edwards ; Jutta Bagdahn mentionne cette nature morte sans plus de précisions et ne l’a pas insérée dans son catalogue raisonné. Voir Jutta Bagdahn, Otto Franz Scholderer 1834-1902. Monographie und Werkverzeichnis, thèse de doctorat inédite, Fribourg-en-Brisgau, 2002, p. 59 ; Jutta Bagdahn, « Otto Scholderer – Daten zu Leben und Werk », dans Scholderer, cat. exp. 2002, p. 61-80, p. 67. je crois que cela lui a plu. Je viens de faire deux petits oiseauxScholderer, Zwei klein Vogel, (deux petits oiseaux), Jutta Bagdahn mentionne cette nature morte sans plus de précisions et ne l’a pas insérée dans son catalogue raisonné. Voir Jutta Bagdahn, Otto Franz Scholderer 1834-1902. Monographie und Werkverzeichnis, thèse de doctorat inédite, Fribourg-en-Brisgau, 2002, p. 59 ; Jutta Bagdahn, « Otto Scholderer – Daten zu Leben und Werk », dans Scholderer, cat. exp. 2002, p. 61-80, p. 67. qui sont bien réussis, je voudrais bien de pouvoir vous les montrer.

J’ai vendu mon ancienne nature morte avec le chevreuil et les poissons à un Viscomte Powerscort qui paraît aimer ma peinture, et surtout l’ancienne aussi, il a pris la neige de la forêt noire,Scholderer, Reh mit Fischen (Chevreuil et poissons), Schnee im Schwarzwald (Neige dans la Forêt-Noire) vendus par Scholderer au vicomte Powerscourt ; Jutta Bagdahn mentionne ces natures mortes sans plus de précisions et ne les insère pas dans son catalogue raisonné. Voir Jutta Bagdahn, Otto Franz Scholderer 1834-1902. Monographie und Werkverzeichnis, thèse de doctorat inédite, Fribourg-en-Brisgau, 2002, p. 59 ; Jutta Bagdahn, « Otto Scholderer – Daten zu Leben und Werk », dans Scholderer, cat. exp. 2002, p. 61-80, p. 67. que vous rappellerez peut-être. Nous avons l’intention d’aller en Allemagne à la fin de l’été, ce sera pour la première fois depuis que je suis à Londres, peut-être que nous viendrons au retour vous voir à Paris.

J’ai appris que vous avez vu Whistler et je suis bien bien curieux ce que vous dites de lui.

Ne craignez-vous pas de rester à Paris avec ces changements continuels ? J’espère vous voir ici pendant la Commune prochaine ! Pas comme communiste exilé, mais pour attendre tranquillement le repos. Les Edwards ont pris une très belle maison, il y a un grand atelier et ils l’ont arrangé avec beaucoup de luxe. Mon atelier est si sombre qu’il faut que je déménage, mais je ne sais pas dans quelle part de Londres ce sera, ce sera pour l’année prochaine.

L’exposition de Durand Ruel a eu plus de succès cette année, je crois que cela réussira avec le temps, le grand tableau de SardanapalLa mort de Sardanapale (J.I.125, 1827-1828, huile sur toile, 395 x 495 cm, Paris, musée du Louvre) d’Eugène Delacroix est exposé à la Society of French Artists, à Londres en 1873, après que Durand-Ruel l’a acquis. n’a pas beaucoup plu ici, cela se comprend. Quel beau tableau, mais on est si loin de comprendre cette peinture. L’art anglais ne m’intéresse pas beaucoup, il y a trop peu d’art, c’est farouche, rien que des amateurs. Au commencement, cela m’a semblé mieux. L’art en général suit maintenant un peu le chemin de FortunisMariano-Jose-Maria-Bernardo Fortuny-y-Carbo (1838-1874), peintre espagnol dont les tableaux rencontrèrent un grand succès dans les années 1870 en Europe. etc. aussi en Allemagne les tendances sont les mêmes. Je crois que nous commençons à être vieux.

Je n’apprends rien de Thoma, il y a si longtemps que je ne lui ai écrit, il paraît qu’il fait des tableaux que personne ne comprend, j’espère de le voir en Allemagne.

Manet a eu du succès au Salon comme vous écrivez à Edwards, je voudrais bien quelque nouveau tableau de lui ; ici, à Londres, cela ne plaît pas du tout, on ne trouve pas même cela singulier, et pourtant il y avait de très belles tableaux.Au Salon de 1873, Manet expose Le bon bock (RW.186, 1873, huile sur toile, 94,6 x 83,3 cm, Philadelphie, Museum of Art) et Le repos (RW.158, 1869, huile sur toile, 148 x 111 cm, Providence, Rhode Island, School of design). A Londres il expose chez Durand-Ruel à l’exposition d’hiver La dame au perroquet (RW.115, 1866, huile sur toile, 185,1 x 128,6 cm, New York, Metropolitan Museum of Art) et à l’exposition de printemps Le balcon (RW.134, 1868, huile sur toile, 170 x 124,5, Paris, musée d’Orsay). Aussi les tableaux de Millet n’ont pas trop de succès, j’ai vu dernièrement sa magnifique levée de lune avec le berger et les moutons.Entre 1872 et l’été 1873, Millet expose à quatre reprises à Londres. L’œuvre à laquelle Scholderer fait ici référence n’est pas identifiable avec certitude parmi la liste des œuvres exposées par Millet lors de ces expositions. Et on trouve cela trop cher. Legros est revenu de l’Italie sans que cela lui ait fait une impression, je ne sais ce qu’il fait maintenant, Cazin commence à avoir du succès avec sa poterie, seulement il se plaint qu’il n’a pas assez de mains pour travailler.

Je ne sais même pas si Ritter est encore à Londres, je le doute. Qui vous a dit que Madame Ritter était morte, est-ce vrai ? Vous n’êtes pas certain ?

Maintenant, adieu, j’ai écrit tout cela très pêle-mêle, vous m’excuserez, n’est-ce pas, puisque je sais que Edwards me fera le commentaire. Je serais bien heureux d’avoir bientôt de vos nouvelles, je voudrais mieux être avec vous. Si vous passez chez Reignier,Il pourrait s’agir du marchand de couleurs Jean-François Régnier exerçant de 1870 à 1877 au 76 rue de Rennes, à partir de 1878 25 rue du Cherche-Midi, avant de s’installer en 1879 au 43 rue des Saints-Pères. je vous serais bien obligé si vous preniez deux ou trois pâtes sécatifs pour moi que Edwards veut bien m’apporter, si vous n’avez pas le temps cela ne fait rien, j’en ai encore pour quelque temps, n’y allez pas exprès. Écrivez-moi bientôt une ligne je vous prie. Bien des choses à Edwards. Comment va Monsieur votre père, je vous prie de le saluer de ma part. Est-ce que vous voyez Mademoiselle Dubourg, est-ce qu’elle a exposé quelque chose au salon ? Dites-lui bien des choses de ma part. Ma femme me charge de vous saluer, elle espère comme moi de vous voir bientôt chez nous. Adieu votre ami

Otto Scholderer.