Perspectivia
Lettre1880_05
Date1880-04-20
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesDubourg, Victoria
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Holbein, Hans
Duranty, Louis
Millais
Menzel, Adolph Friedrich Erdmann von
Thoma, Hans
Edwards, Ruth
Cazin, Jean Charles
Lhermitte, Léon
Fabre
Esch, Mlle
Holbein, Hans
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Paris
Paris, Exposition Universelle, 1878
Paris, Salon
Londres, Grosvenor Gallery, 51a New Bond Street
Œuvres mentionnéesS Selbstbildnis (autoportrait)
S Preparing for a Fancy Ball (Préparatifs pour le bal costumé)
F Portraits ou la leçon de dessin dans l'atelier
F Finale du Rheingold
F Portrait de Mademoiselle L.R. (Louise Riesener)
F La Musique
F Paris-Murcie
F Tulipes de toutes couleurs
S Blondes Mädchen mit Katze - Mieze's Früstück (Jeune fille blonde avec un chat - le petit déjeuner du chat)
S Pussy's Breakfast (Le petit déjeuner du chat)

8 Clarendon Road Putney

20.4.[18]80

Mon cher Fantin,

Nous avons reçu bien l’aimable lettre de MadameFantin étant occupé à peindre des tulipes, c’est Victoria Fantin-Latour qui annonce, dans une lettre du 18 avril 1880, l’admission de Scholderer au Salon de 1880. Cette lettre est écrite sur le papier d’acceptation de Scholderer au Salon de 1880 (admis sous le numéro 7087). Dans la même lettre elle fait part du décès de Duranty. et nous la remercions bien qu’elle a été si bonne de nous donner des nouvelles de vous ; aussi pour la nouvelle que mon portraitScholderer, Selbstbildnis, B.150. a été reçu au Salon. Il m’aurait fait plaisir si la nouvelle de la mort de Duranty ne fût pas venue en même temps. Cela m’a rendu bien triste, un des seuls qui nous a supportés dans sa critique, dont le nombre n’est pas grand.

Tout ce temps, je ne me trouvais pas dans une disposition à vous écrire, pardonnez-moi, je suis dégoûté de bien des choses, les affaires vont si mal ou plutôt pas du tout, tellement que je ne sais pas ce [que] je deviendrai, personne qui ne prend intérêt en ce que je fais, il me paraît que je commence à perdre aussi ceux qui ont autrefois pensé à moi. Mon grand tableau n’a pas été pris à la Grosvenor Gallery,Scholderer, Preparing for a Fancy Ball, B.188. on a trouvé le sujet pas d’un goût exquis et fashionable comme la Galerie l’exige, on y a reconnu quelques de mes modèles et les peintres n’aiment qu’à voir des personnes dans un tableau qu’on ne connaît pas. Probablement à l’Académie, je trouverai qu’on est de la même opinion. Il m’aurait fallu 15 jours de plus pour bien achever mon tableau et de finir quelque chose à la hâte me dégoûte et me paraît absurde. Je n’ai pas d’opinion sur ce que j’ai fait, quand je le reverrai, ce me sera peut-être possible de voir ce que c’est. J’ai voulu vous envoyer un dessin, mais j’ai travaillé jusqu’au dernier moment ; cependant je suis persuadé qu’il y a des choses qui vous plairont, je peux dire qu’il y a des choses que je ne saurais faire mieux.

Votre tableau des jeunes demoiselles m’a fait la plus grande impression,Fantin-Latour, Portraits ou la leçon de dessin dans l’atelier, F.920. je ne peux pas vous dire comme je le trouve beau, c’est certainement un des plus beaux tableaux qu’on ait faits de notre temps. Tout y est parfait. La dame debout est un sujet ravissant où vous avez réussi complètement, et l’effet renversé de faire la blonde dans l’ombre et la brunette en pleine lumière est tout à fait charmante. J’en suis certain vous aurez un grand succès à l’académie ! Comme je désire voir ce que vous avez fait pour le Salon, vous n’en parlez pas.Au Salon de 1880, Fantin envoie le Finale du Rheingold, F.985, le portrait de Mademoiselle L.R. (Louise Riesener), F.986, ainsi qu’un pastel, La Musique, F.987 et deux lithographies dont le célèbre bouquet de roses, H.26.

Nous ne pouvons guère penser à aller vous voir à Paris, d’abord nous n’avons pas le sou, comme généralement. Mes modèles ont mangé le peu que j’ai gagné ou plutôt plus que j’ai gagné. Une autre raison bien grave est que ma femme va avoir un enfant au mois d’octobre et ne doit pas se fatiguer du tout. Je sais ce que vous pensez en apprenant cette nouvelle, et nos sentiments à ce rapport sont bien partagés, nous ne sommes plus jeunes et un enfant sera une inquiétude continuelle pour nous, mais aussi ce sera un grand plaisir pour ma femme, et moi je ne sais pas si cela ne sera pas mieux pour nous, si on n’a rien, ce sera joli au moins d’avoir un enfant. Ma femme se porte assez bien et nous espérons que tout ira bien.

Pardonnez-moi que mes remerciements pour toute votre bonté n’arrivent si tard, d’abord pour tout l’embarras que je vous ai causé avec mon tableau du Salon, je ne sais pas si cela a valu la peine, aussi pour le numéro de Paris-Murcie qui nous a fait bien plaisir et qui est très amusant. Je crois bien que votre esquisse a dû faire enrager les musiciens.Le comité de la presse française fait paraître des numéros spéciaux au moment de catastrophes internationales. Paris-Murcie est publié en décembre 1879 au profit des victimes des inondations d’Espagne. Le dessin que Fantin publie dans Paris-Murcie, F.974, reprend la composition du pastel La Musique, F.987, exposé au Salon de 1880 et figurant l’allégorie de la Musique inscrivant dans le marbre les noms de Schumann, Berlioz, Wagner et Brahms.

Pensez que je n’étais qu’une seule fois voir les vieux maîtres à Burlington-HouseBurlington House, à Piccadilly, est le nom du bâtiment qui abrite la Royal Academy depuis 1868. Depuis 1870, l’académie y organise chaque hiver une exposition de maîtres anciens et d’artistes anglais décédés. et ce n’était que pour une heure seulement, il y avait des Holbein merveilleux, j’ai bien regretté de ne pas les avoir bien vus.

Je crois que je n’ai pas besoin de vous dire que le plaisir sera grand pour nous de voir vous et Madame ici à Londres, et j’espère que cela nous dédommagera un peu pour les années pendant que nous fûmes séparés, comme le temps que j’ai passé chez vous pendant l’Exposition me paraît déjà si loin !Il fait ici référence à son séjour parisien de l’été 1878, à l’occasion de l’Exposition universelle.

Madame nous écrit que vous êtes en train de faire des fleurs,Tulipes de toutes couleurs, F.996. comme je voudrais avoir assez de tranquillité pour faire des natures mortes, mais en ce moment les soucis de la vie m’y empêchent, j’ai commencé trois nouveaux tableaux, un avec une petite fille avec un chatScholderer, Blondes Mädchen mit Katze – Mieze’s Früstück, B.186, qui doit comme le suggère Bagdahn être identique au n° 185 de son catalogue Pussy’s Breakfast, B.185. et quelques demi-figures en costumes de fantaisie.Ces demi-figures en costume de fantaisie ne peuvent être identifiées précisément. Je n’ai pas encore de nouvelles de mon tableau à l’Académie.

J’ai vu un portrait d’une petite fille par Millais en costume ReynoldsMillais, Cherry Ripe, 1879, huile sur toile, 134,6 x 88,9 cm, coll. part. qui est ravissant, voilà pourtant un homme qui est bien intéressant, c’est vraiment fait avec un grand esprit et un talent merveilleux, quel dommage qu’il soit un homme si désagréable et qu’on ne puisse aborder qu’en ayant un nom ou plutôt appartenant à la noblesse, quel dommage qu’il y a si peu d’éducation ici parmi ces artistes et que la vanité, mais c’est probablement comme partout.

Quelle était la maladie de Duranty ? Avez-vous les traités qu’il a écrits sur MillaisVoir Edmond Duranty, « John Everett Millais », François-Guillaume Dumas (éd.), dans Illustrated Biographies of Modern Artists, Londres, 1882-1884, p. 28-48. et Menzel,Voir Edmond Duranty, « Adolph Menzel », dans Gazette des Beaux-Arts, mars 1880, p. 105-124 et juillet 1880, p. 201-217. je voudrais bien les lire.

Thoma est à Rome en ce moment, je ne sais pas combien de temps il y restera. Il voyage beaucoup je trouve, je ne sais pas pourquoi.

Depuis hier nous avons l’été ici, sans doute il fera chaud à Paris, on dit que l’été sera bien chaud, je le regrette beaucoup, je me suis porté très bien l’été passé.

Madame Edwards paraît être triste, j’ai remarqué qu’il y a bien des gens qui ne viennent plus la voir depuis la mort d’Edwards, aussi elle se ménage encore moins qu’autrefois, fait des choses qu’Edwards ne lui aurait pas permis, traite les gens avec une grossièreté magnifique, souvent sans tact, ainsi que je ne serais pas étonné de lui voir perdre bien des amis, et pour vendre des tableaux elle n’a certainement pas la manière qu’elle lui faut pour cela. Elle est bien triste, quelquefois et elle me fait pitié, elle m’écrit qu’elle a assez de cette vie.

Dites à Cazin que je me reproche chaque jour de ne pas lui avoir répondu à son aimable lettre, mais c’est si difficile d’écrire, pourtant je le ferai un de ces jours. Voyez-vous Lhermitte, dites-lui bien des choses de notre part. Et Mlle Fabre viendra-t-elle à Londres ? Ma femme va écrire à Mlle Esch un de ces jours, dites-lui bien des choses de nous deux. Je vous dis adieu, nos meilleurs compliments pour vous et Madame. J’ai oublié de vous demander si vous avez envoyé l’esquisse du Rheingold,Fantin-Latour, Finale du Rheingold, F.985. et Madame a-t-elle fait des natures mortes,Victoria Dubourg, Nature morte exposée au Salon sous le n° 1253. n’oubliez pas de me le dire dans votre prochaine lettre. Vous ne dites rien de la santé alors c’est un bon signe. Adieu, écrivez bientôt

Votre ami

Otto Scholderer