Perspectivia
Lettre1893_01
Date1893-11-19
Lieu de création6. Bedford Gardens Kensington, London
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Schumann
Scholderer, Viktor
Dubourg, Charlotte
Dubourg, Victoria
Dubourg, Hélène
Lieux mentionnésParis
Bruxelles
Londres, Institute of Painters in Oil Colours
Œuvres mentionnéesF A Robert Schumann (1re planche)
F Manfred et Astarté
F Capucines dans un vase de verre

6. Bedford Gardens

London W.

19 nov. 1893

Mon cher Fantin,

Je ne sais vraiment pas commencer une lettre après que je ne vous ai écrit depuis si longtemps, et je me sens plus coupable que jamais. Vous aurez sans doute entendu cependant, que j’ai passé un temps bien triste à cause de la maladie de ma femme. Avec cela j’ai eu tant de soucis et de désagréments, ma position était si précaire et pas d’argent, dans un temps ou j’en avais doublement besoin, tout cela m’a jeté dans [un] état de léthargie. Je ne pouvais pas écrire, même à ma famille, je n’ai pas écrit depuis six mois. Je crois que vous me pardonnez, et je suis sûr que vous que vous sentez que ce n’est pas mon amitié qui a diminué. Au contraire, j’ai chaque jour pensé à vous, et j’aurais bien voulu causer de toutes ces misères avec vous, cela m’aurait bien soulagé !

Aujourd’hui, je peux vous écrire avec le cœur plus léger, ma femme n’est pas encore en bonne santé, elle n’est pas encore guérie et l’opération qu’elle a dû subir ne l’a pas avancée, cependant ses nerfs sont mieux, et en somme, elle se porte mieux et a recommencé son travail dans la maison. Ma position est aussi meilleure depuis quelque temps, ce qui m’a donné plus de courage. J’ai peint plusieurs portraits et je suis en train d’en faire d’autres. Malheureusement, cela m’a interrompu dans mes natures mortes avec lesquelles je commençais à avoir du succès en Allemagne, cependant je ne veux pas m’en plaindre, car les prix qu’on m’en offre sont si bas que je ne serais pas en état de me procurer le nécessaire pour la vie.

Je suis bien honteux que je ne vous ai pas encore remercié pour votre dernier envoi de trois lithographies qui m’ont fait tant de plaisir pendant un temps pénible, elles sont bien belles et j’ai admiré surtout celle avec le buste de Schumann,Fantin-Latour, A Robert Schumann (1re planche), H.108 ou A Robert Schumann (2e planche), H.109. l’autre je ne sais le titre, est-ce une Astarté, l’homme à genoux devant l’apparition de la femme,Manfred et Astarté, H.107. c’est très beau. Je dois vous remercier aussi de ce que vous avez été si bon de me proposer comme membre du Royal Institute,Royal Institute of Oil Painters. je trouve que c’est très bon, après que j’ai vécu ici pendant 23 ans, d’être proposé par vous, c’est de ce qu’un étranger doit s’attendre en Angleterre, cependant je ne dois pas faire une reproche à ce pays, je me sens toujours un étranger, plus que jamais, et je n’aime pas les Anglais, pourquoi devraient-ils m’aimer, je me sens allemand plus que jamais, je trouve même ma peinture bien allemande maintenant, et j’en suis content, on ne peut pas sortir de sa peau.

J’ai fait quelques portraits dernièrement qui, je crois, vous plairaient, je me donne plus de peine et tâche de les achever bien, je voudrais bien vous montrer aussi quelques de mes natures mortes, toutes des fruits.

Vous avez eu un grand succès cette année à l’InstitutFantin a exposé des œuvres à la onzième exposition de l’Institute of Painters in Oil Colours. ici et j’ai admiré beaucoup vos fleurs. Il me semble qu’il y a partout déjà une réaction contre les tendances nouvelles et le mot Impressionnistes a cessé d’exprimer une qualité artistique, et ce n’est qu’en Allemagne qu’ils fleurissent encore, ici on commence à s’en défier. Vos capucines sont tout à fait beaux,Capucines dans un vase de verre, fond clair, F.1511. vraiment admirables, comme ils doivent être difficiles à peindre !

Au commencement de l’année prochaine, peut-être au mois de février, j’irai probablement à Bruxelles pour y faire un portrait, j’espère alors de venir pour quelques jours à Paris, certainement je ne laisserai pas passer cette occasion pour vous voir. Comment vont vos santés ? J’ai su que vous avez bien souffert de la chaleur pendant cet été, c’était vraiment une année abnorme, ici il a fait bien beau temps, mais les brouillards vont bientôt venir.

Victor grandit et en peu de temps il sera de ma taille. Sa santé est bonne, il a un bon appétit. Il aime toujours à travailler, mais jamais trop, con amore. Le grec l’intéresse beaucoup en ce moment et sa littérature, comme je voudrais l’emmener à Paris, peut-être un jour vous le verrez, c’est aussi pour apprendre le français que [je] désire qu’il restât quelque temps en France, car le français l’intéresse beaucoup.

Je vous dis adieu et nous espérons que cette lettre vous trouve tous les deux en bonne santé, nos meilleurs compliments à vous et Madame, et aussi à Madame et Mademoiselle Dubourg

Votre ami

Otto Scholderer