Perspectivia
Lettre1896_07
Date1896-08-25
Lieu de création7. Katharnien Strasse, Freiburg i. B.
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Scholderer, Viktor
Millais
Leighton, Frédérick
Edwards, Ruth
Hegar, Ernst Ludwig
Dubourg, Victoria
Dubourg, Charlotte
Lieux mentionnésLondres
Paris, Salon
Fribourg-en-Brisgau
Œuvres mentionnées

7. Katharnien Strasse

Freiburg i. B.

25 Aug. [18]96

Mon cher Fantin,

Je viens de recevoir votre bonne lettre en ce moment et je vous en remercie de tout mon cœur. J’étais au point de vous écrire et de vous dire quel temps nous avons passé, et je suis heureux de pouvoir vous dire qu’il me semble que ma femme se rétablira, quoique l’opération qu’elle vient de subir a été une des plus dangereuses et a duré plus que deux heures, mais le plus grand danger était la faiblesse, et en ce moment même, je ne suis pas encore sans soucis en ce rapport. Encore une fois nous avons eu de la chance, et surtout d’avoir trouvé un médecin chirurgien qui certainement doit être un des plus grands, puisque deux autres à Londres, de grande réputation disaient qu’ils ne pouvaient pas sauver ma femme et notre docteur m’a dit après l’opération : « on ne fait pas cela en Angleterre », c’est-à-dire qu’on ne le sait pas.

Un de nos amis à Londres nous avait conseillé d’aller consulter Professor HegarLe professeur Ernst Ludwig Hegar est un éminent gynécologue obstétricien. Il a développé de nouveaux outils d’examen et est un pionnier de l’opération d’ablation de l’utérus. à Freiburg et son conseil avait fait tant d’impression sur ma femme qu’elle se décidait de suite à le suivre, et son désir m’a aussi convaincu si fortement que nous sommes partis le même jour. Depuis que ma femme est mieux, je me demande pourtant quel sort sera réservé pour elle ou peut-être pour moi, mais on ne devrait pas penser à cela, peut-être ce sont aussi mes nerfs qui ont un peu souffert de cela et qui me laissent voir le futur un peu trop noir, et que je suis devenu un peu plus lâche.

Victor est avec nous, il n’a pas trop bonne mine et il paraît que la vie en Allemagne ne lui va pas trop bien. Il va retourner à Londres au milieu du mois prochain et certainement sans nous, puisque ma femme est encore loin d’une guérison complète.

Le pauvre Millais est enfin délivré de ses souffrances et j’étais content d’apprendre sa mort qui, heureusement, n’était pas trop dure. Son talent a été toujours pour moi un des plus intéressants et encore l’année passée il a fait un tableau de St. StephanMillais, Saint Stephen, 1895, huile sur toile, 152 x 114 cm, Londres, Tate Gallery. qui m’a beaucoup touché, il y avait même plus que du talent, mais peu de personnes ont reconnu cela. C’était d’une grande liberté, en même temps d’une grande finesse. J’avais fait, quand je le voyais, allusion que vous aimeriez avoir une photographie de ce tableau, j’étais sûr (il m’avait montré la photographie) mais il ne le comprenait pas, il a été toujours trop gâté pour penser à un autre, mais avec tout cela je l’aimais beaucoup, et c’est peut-être le seul Anglais pour lequel j’éprouvais une grande sympathie et il avait éprouvé cela aussi, Millais et Leighton, tous les deux étaient très bons pour moi et j’aimerais toujours penser à eux. Avec d’autres artistes, j’ai peu de rapports. Les journaux étaient pleins de sa position extérieure, pas un seul s’est occupé sérieusement avec son art. J’espère qu’on aura bientôt de bonnes reproductions de ses tableaux, dans tous les pays on ne le connaît pas encore assez.

Madame Edwards m’écrit que vous pensez déjà à vos tableaux au Salon prochain, j’espère qu’ils seront les plus importants que vous ayez faits. Malheureusement, mon travail a été interrompu par la maladie de ma femme, je n’ai pas encore trouvé la tranquillité de recommencer et je crains que je n’aurai pas le loisir de le reprendre le mois prochain, c’est une grande perte, pas seulement du côté matériel, cependant je n’ai pas perdu le courage et ma santé est assez bonne, il me semble que j’ai fait quelques progrès dernièrement et que le public aussi s’intéresse plus à ce que j’ai fait, voilà une petite consolation.

Nous sommes très bien dans la nouvelle maison à Londres, j’aime beaucoup mon atelier.

Ma femme a été très sensible à l’intérêt que vous et à Madame ont pris à son sort et vous remercie de tout son cœur pour vos bons vœux. Moi aussi je vous remercie beaucoup. Je vous donnerai bientôt des nouvelles de sa santé.

J’espère que cette lettre vous trouve tous en bonne santé, aussi Mademoiselle Dubourg à quelle nous envoyons nos meilleurs compliments, Victor aussi vous embrasse.

Votre ami

Otto Scholderer