Perspectivia
Lettre1860_01
Date1860
Lieu de créationFrancfort sur le Main, 6 Gallengasse
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesLa Caze, Louis
Courbet, Gustave
Vélasquez, Diego
Legros, Alphonse
Ritter, Francine
Ritter, Monsieur
Ottin, Léon
Solon, Marc Louis Emanuel
Ferlet, Guillaume
Müller, Victor
Le Sueur, Eustache
Lieux mentionnésParis, galerie Lacaze
Paris
Paris, Musée du Louvre
Œuvres mentionnées

Francfort sur le Main, 6 Gallengasse

[Hiver 1860]

Mon cher Fantin

Je commence à croire que vous êtes aussi paresseux quand il s’agit d’écrire des lettres que moi, car il y a maintenant je crois à peu près quatre mois au moins que je n’ai rien entendu de vous, mais cependant si vous avez aussi souvent pensé à moi que j’ai pensé à vous, je suis content, car je vous assure je pense chaque jour à vous. Sans être la seule personne à qui je pense avec plaisir et que je voudrais revoir de mes amis à Paris, j’y pense chaque jour, malheureusement je crois qu’il va passer encore bien du temps avant que je vous verrai à Paris ; l’hiver sera bientôt passé et je suis occupé encore de mes portraits, cependant j’en ai un maintenant dont je suis assez content, ce sont deux petites filles que je fais pour un tableau, une petite de trois mois.Scholderer, Portrait des filles du banquier Müller, B. 24. Les gens ne me tourmentent pas, je pense le faire d’après mon goût et cela va assez bien ; mon dernier résultat dans la peinture est que je commence à travailler plus librement, plus aisément et plus vite et je crois que c’est Courbet qui y a contribué ;Courbet a séjourné à Francfort d’août 1858 à février 1859. Scholderer en a profité pour suivre attentivement sa production, lui rendre régulièrement visite et tirer des leçons de sa manière de peindre. j’espère que je pourrai bientôt vous envoyer un petit échantillon de ma peinture.

Depuis quelque temps, je pense beaucoup à Paris, au Louvre surtout, oh, si je pouvais vous voir et causer une demi-heure avec vous, aussi je pense souvent à la galerie de Mr LacazeLouis La Caze (1798-1869). Médecin, il ne collectionne que les tableaux qu’il recherche à l’hôtel des ventes et jusque chez les plus petits brocanteurs, se donnant pour règle de les acheter bon marché, ne voulant pas entamer la fortune familiale. Ses choix sont éclectiques. Il montre lui-même sa collection dans son hôtel particulier de la rue du Cherche-Midi tous les dimanches aux amateurs et aux curieux. Dans son testament du 24 juillet 1865 le docteur La Caze lègue toute sa collection au Louvre, souhaitant, mais n’exigeant pas qu’une salle lui soit consacrée (les tableaux seront montrés pendant une quarantaine d’années dans l’ancienne salle des Séances de Louis XVIII qui prit le nom de salle La Caze ; c’est l’actuelle salle des Bronzes antiques) et demandant que les conservateurs répartissent dans des musées de province les œuvres qu’ils ne désiraient pas pour le Louvre. François Reiset, alors conservateur des Peintures et ami de vieille date de La Caze, procéda au choix, gardant pour le Louvre 272 tableaux sur les 582 que comportait la collection. et les promenades que nous avons faites ensemble revenant de lui ; seulement je ne peux pas me figurer, était-ce bête que nous n’étions pas plus souvent ensemble, que nous avons demeuré si éloignés l’un de l’autre, enfin quand je reviendrai ce sera autrement.

Je crois que je suis encore dans la bonne peinture, l’été que je passé à la campagne m’a fait du bien, je ne crains plus de peindre, aussi je travaille plus maintenant, malheureusement les jours sont si courts, je n’aime pas ce temps, je le crains chaque année de nouveau, le soir je suis souvent dans mon atelier où je lis et j’écris aussi ; je suis devenu dans le dernier temps grand violon, j’exerce régulièrement. Il y a pas de peintre ici qui fait quelque chose de bien, il n’y a aucun qui sait peindre, excepté Müller qui travaille encore son grand tableau, mais on ne le comprendra pas.A cette époque, Müller travaille à un tondo qui devait orner le plafond d’une villa francfortoise, Hebe und Amoretten (Hébé et amours), L.36, 1860, diamètre 2,20 m, Francfort-sur-le-Main, coll. part. Dans le dernier temps, j’ai changé un peu la manière de ma peinture, je peins plus lié, je n’outre pas la pâte, cependant je prends toujours encore un bon pinceau plein, c’est pourtant la plus belle chose de faire de la peinture n’est-ce pas.

Notre galerie a acheté dernièrement un Velasquez <La tête d’un pape> ;Portrait du cardinal Gaspar de Borja y Velasco (1582-1645, n.d., huile sur toile, 64 x 48,3 cm, Francfort-sur-le-Main, Städtische Galerie im Städelschen Kunstinstitut), vraisemblablement une copie d’après Diego Rodriguez de Silva y Velázquez. L’œuvre a été acquise comme un Vélasquez pour 27100 francs. Elle figurait sous le n° 42 de la vente de la collection Salamanca par Pillet à Paris qui s’est tenue du 3 au 6 juin 1867. quand je l’ai vu, je trouvai (pas seulement moi) que c’était une mauvaise copie d’un Français dans le temps de Le Sueur,Eustache Le Sueur (1616-1655), peintre français. des tons violets bruns dans un bonnet rouge, vous me comprenez peut-être, vous savez des tons mous, enfin ils ont acheté cela comme un Velasquez, oui, on comprend ici la bonne peinture.

Je ne peux pas vous dire les nouveautés, le reste de ma vie ne vous intéresse pas, je suis presque toujours dans la famille, j’espère que ces lignes vous trouvent dans la plus bonne santé et que bientôt vous m’en écrirez aussi quelques unes ; aussi dites-moi quelque chose d’Alphonse, que fait il, Madame Ritter m’a écrit qu’il était devenu un grand peintre et qu’il avait une jolie maîtresse.

Saluez nos amis Ottin, Solon, Ferley est-ce que vous les voyez quelquefois. Mon cher Fantin, je vous serre la main et je vous prie bien de m’écrire vous me ferez un grand plaisir, je vous charge aussi de me donner des nouvelles de la famille Ritter, Madame Ritter depuis quelque temps ne m’écrit plus aussi j’ai adressé une lettre à Monsieur Ritter, je pense qu’il a trop d’ouvrage pour pouvoir me répondre aussi il n’est non plus grand écrivain. Adieu

Votre Ami

Otto Scholderer

Je ne vous souhaite pas la nouvelle année elle est déjà trop vieille