Perspectivia
Lettre1865_14
Date1865-07-15
Lieu de créationFrancfort [sur le Main]
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesManet, Edouard
Couture, Thomas
Proudhon, Pierre-Joseph
Ritter
Rotschild, Famille
Burnitz, Karl Peter
Lieux mentionnésParis
Œuvres mentionnéesF Le toast et La vérité

Francfort [sur le Main]

15 juillet [18]65

Mon cher Fantin,

Je vous envoie deux billets de change et vous prie de les donner à votre marchand de couleurs,M. Hardy. j’espère que le paiement ne lui semble pas avoir tardé trop longtemps.

Je vous remercie de votre lettre, elle m’a intéressé, alors vous croyez que le réalisme a eu un succès cette année ! J’espère qu’il s’augmente chaque année. Je ne veux plus parler de mon projet de venir à Paris, quand le moment viendra, alors je viendrai aussi. Vous voulez alors aller en Angleterre. Vous avez raison, je ne peux pas vous dire laissez cela et venez ici, vous y avez trop d’avantages, aussi vous avez raison, vous ne verriez rien ici en Allemagne que peut être des choses bonnes du passé, seulement vous auriez la chance de ne pas comprendre la langue et avec cela vous éviteriez les discours sur la théorie, cependant je ne suis pas entièrement contre elle, car avant de passer dans les mains, tout doit avoir passé la tête d’abord dans l’art et je trouve chaque jour que j’ai manqué de réfléchir sur l’art, oui la raison, le réfléchir à ce qu’on voit avec ses yeux, voilà la chose, voir et réfléchir, on y manque encore souvent. Maintenant vous allez me dire : voilà un vrai Allemand ; mais je ne veux pas un philosophe, je veux un peintre, vous devez le croire.

Ce que vous écrivez de Manet m’a bien intéressé, je voudrais bien voir ses tableaux. Il est difficile cependant de s’imaginer un élève de CoutureThomas Couture (1815-1879), peintre français. Il règne sur l’enseignement académique parisien entre 1847 et 1863. Bien qu’il ait été ouvert et tolérant à l’égard des productions de ses élèves comme Puvis de Chavannes, Boudin ou encore Manet, il sera vivement critiqué pour son enseignement attaché aux formules académiques. retourner à la naïveté. Est-ce que vous le voyez souvent. Je n’ai presque rien lu des critiques dans les journaux, aussi je ne les ai pas lues tous les jours, on a donc beaucoup parlé de votre tableau,Le toast ! Hommage à la Vérité représentait autour d’une table Manet, Bracquemond, Vollon, Cordier et Whistler, les camarades habituels de Fantin. Le peintre lui-même montre à ses amis la figure de la Vérité et les engage à lui porter un toast. Fantin allait finalement décider de détruire son œuvre à la suite du Salon. cependant je l’ai cru d’avance, c’était un sujet pour ces hommes là. Avez-vous lu le livre de Proudhon sur l’art,Scholderer fait ici référence à l’édition posthume de l’ouvrage du théoricien socialiste français Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), Du principe de l'art et de sa destinée sociale (Paris, Garnier, 1865), écrit en 1863. je voudrais bien l’avoir, cela doit être très intéressant pour nous.

J’ai peu fait le dernier temps. J’étais un peu malade, l’estomac et les nerfs ne sont pas comme il le faut pour bien travailler, cependant j’irai à la campagne un peu de temps, alors la santé reviendra vite. Je ferai de nouveau des natures mortes, les derniers jours, j’ai fait deux fois mon portrait, j’ai fait encore beaucoup de progrès, il me semble que ma peinture a gagné beaucoup. Je crois que vous seriez plus satisfait d’elle maintenant, je pense à votre scala de tons et elle est devenue bien plus simple maintenant ; l’ombre n’est plus noire, on y voit toujours la couleur de l’objet, mon tableau prochain sera bien bien mieux que ceux que vous avez vus. Mais est-ce étonnant comme toujours on apprend et que après l’avoir appris, cela vous semble si simple et clair et on s’étonne de ne l’avoir vu depuis longtemps. Je trouve qu’il est à comparer avec un rêve duquel on s’éveille peu à peu, toujours on voit la nature un peu plus claire et cela s’augmente à l’infini, mais c’est beau, toujours on a l’espoir d’arriver un jour vraiment à la lumière et au réveil.

Maintenant adieu, je vous envoie la lettre dans votre nouvelle demeure, est ce que votre atelier y est aussi ?En juillet 1865, Fantin-Latour déménage avec sa famille au 13 rue de Londres dans le 8e arrondissement. C’est un petit appartement où il n’a pas d’atelier. Il semble qu’il ait partagé celui de Balleroy, il en est question dans des lettres de Bracquemond à Fantin, voir Fonds Custodia, collection Frits Lugt, 1997-A.666/668 et 669. L’adresse de Ritter est 34 rue St Georges, Batignolles, si vous les voyez, saluez-les de ma part, chaque jour je veux leur écrire mais cela y reste aussi. Quand partirez-vous pour l’Angleterre ?

Maintenant, adieu écrivez bientôt

Votre O. Sholderer

Le brun rouge est arrivé il est excellent, je vous remercie bien.

Je viens d’arranger l’affaire avec Mr Hardy-Alan de sorte qu’il pourra toucher son argent au comptoir de Rothschild, rue la Fille quand il voudra, la lettre d’ordonnance est partie aujourd’hui.

Le billet de change vient de Burnitz.