Perspectivia
Lettre1858_02
Date1858-05-19
Lieu de créationFrancfort-sur-le-Main, Gallengasse n° 6
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesSinet, Louis René Hippolyte
Ottin, Léon
Solon, Marc Louis Emanuel
Ferlet, Guillaume
Legros, Alphonse
Lieux mentionnésParis
Francfort-sur-le-Main
Œuvres mentionnées

Francfort-sur-le-Main, Gallengasse n° 6 19 mai 1858

Mon cher ami,

J’étais bien fâché de ne pas vous trouver au chemin de fer à mon départ et ne pas pouvoir vous dire adieu ; maintenant je suis à Francfort ce qui n’est pas joli, car je commence déjà à me trouver bien seul avec mes idées, on trouve mes tableaux pas du tout beaux et on s’en moque presque, mais cela ne les empêche pas de faire des choses qui sont tout à fait nulles, ils font tous la même chose, tous des têtes en bois peint, je commence déjà à m’ennuyer horriblement et mon désir de retourner à Paris est grand, je vois que je n’apprendrai rien ici et que la société des peintres me sera nuisible mais il faut que je gagne de l’argent pourtant ; aussi je tâcherai de rester seulement dans la société des gars qui ne font pas de la peinture ; écrivez-moi bien souvent afin que je reste fort.

Je vous recommande au jeune homme qui va aller ces jours-ci à Paris pour voir de la peinture et surtout il désire de voir quelques ateliers, c’est un jeune Russe (demi compatriote)La mère d’Henri Fantin-Latour ètait russe. Hélène Fantin-Latour (1814-1867), née Hélène de Naidenoff dans le duché de Podolie à Orel, était la fille adoptive de la comtesse Zoloff, née princesse Kourakine. Il y aurait un portrait d’elle au piano par son fils, « Femme au piano », F.29, localisation inconnue. qui n’aime pas encore la bonne peinture mais qui a une bonne volonté, ne vous occupez pas trop de lui, mais donnez-lui des recommandations à SinetLouis René Hippolyte Sinet (1830-1885), peintre français, condisciple de Fantin chez Lecoq de Boisbaudran après duquel il suit des cours à la Petite École de dessin, rue de l’École-de-Médecine. À l’automne 1858, Sinet, Legros et Fantin qui disent partager les « idées vraies » en matière artistique, constituent la Société des Vrais Bons. ou ValtonEdmond Eugène Valton (1836-1910), peintre français, condisciple et camarade de Fantin. ou quelqu’un qui est à la hauteur des ateliers, avec tout cela le jeune homme est très agréable, son père presque encore plus, car il doit posséder 80 millions de francs.

Écrivez-moi donc bien souvent, j’espère que vous allez bien et que ce n’est pas une maladie qui vous a empêché de venir au chemin de fer, écrivez bientôt afin que je sache comment vous allez. Saluez bien Ottin de ma part, aussi SolonMarc Louis Emmanuel Solon (1835-1913), peintre, céramiste, ami de jeunesse et condisciple de Fantin chez Lecoq de Boisbaudran. Il se spécialise dans la céramique et entre à la Manufacture de Sèvres où Fantin, Astruc et quelques amis constitués en un groupe qu’ils appellent le Jing-Jar le retrouvent fréquemment pour discuter d’art japonais. Il s’installe à Londres en 1870 où il devient directeur artistique de la Manufacture de Minton. et Ferley,Guillaume Ferlet est journaliste, il est proche du groupe d’amis que constitue le cercle des élèves d’Horace Lecoq de Boisbaudran. mais surtout AlphonseAlphonse Legros (1837-1911), peintre, graveur, sculpteur. Legros et Fantin font connaissance en 1851 et se fréquentent assidûment pendant leurs années de formation (voir lettre 1858_01, note 3). En 1858, il forment avec Sinet la Société des Vrais Bons où ils affirment leur désir de défendre les « vraies idées » artistique. La même année, Legros, Fantin et Whistler se retrouvent dans la Société des Trois, association fondée sur la solidarité plus que sur un programme artistique commun. Legros participe avec ses deux amis au Salon des refusés de 1859. Son grand Ex-voto du Salon de 1861 lui vaut ensuite un certain succès. Cependant, face aux difficultés financières, il émigre en Angleterre en 1863 sur les conseils de Whistler. En 1865 Legros se querelle avec Fantin et Whistler et rompt avec eux. Il devient professeur des Beaux-Arts de l’University College de Londres en 1876 (Chaire Slade) et y exerce une influence importante sur de nombreux élèves. En Angleterre, où il poursuivra toute sa carrière, se faisant même naturaliser en 1880, Legros se consacre progressivement surtout à la gravure et à la médaille. Il ne manque cependant pas d’envoyer ses œuvres aux Salons parisiens. Legros figure dans deux tableaux de Fantin, « Hommage à Delacroix », F.227 et un portrait individuel, « Portrait d’Alphonse Legros », F.96. quand vous lui écrivez, moi aussi je vais lui écrire bientôt, mais donnez-moi encore son adresse. Je vous demande pardon si je vous écris une lettre si peu amusante, mais je vous écrirai plus quand j’aurai regagné un peu le courage. Adieu mon cher Fantin, portez-vous bien et écrivez.

Votre ami O. Scholderer