Perspectivia
Lettre1871_09
Date1871-12-22
Lieu de créationParis
AuteurFantin-Latour, Henri
DestinataireScholderer, Otto
Personnes mentionnéesVéronèse, Paul
Jullien, Adolphe
Edwards, Edwin
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Whistler, James Abbott MacNeill
Steinhardt, Karl-Friedrich
Artz, Constant
Manet, Edouard
Wagner, Richard
Le Corrège
Giorgione
Titien
Ritter, Monsieur
Ritter, Francine
Maître, Edmond
Bazille, Frédéric
Schumann, Robert
Brahms, Johannes
Legros, Alphonse
Lieux mentionnésParis
Paris, Musée du Louvre
Londres, Dudley Gallery
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF Un coin de table

Paris

le 22 Xcembre [18]71

Mon cher Scholderer

Voilà bien longtemps que je voulais vous écrire, mais je suis bien paresseux. On remet au lendemain, ainsi les mois passent.

Je viens de recevoir des nouvelles de vous par Edwards qui m’ont fait grand plaisir. Il me dit que vous allez bien, que vos affaires vont bien, que vous commencez à vous plaire à Londres.

Il me semblait que vous deviez vous y plaire. Edwards vous aime beaucoup. Ce sont des éloges qui me font plaisir, que je suis heureux que vous l’ayez à Londres, je crois que vous avez en lui un homme sûr et bienveillant. Il me fait des grands éloges de Madame qui leur a beaucoup plu.

Il me dit des choses qui me font penser que vous devez être très heureux. Cela me paraît le bonheur ici-bas : bien marié, travailler et pouvoir en vivre.

Vous voilà mon cher Scholderer dans le moment d’Agir et cela vous était dû le repos et la tranquillité. Bientôt peut-être, j’irai vous joindre, encore un peu de temps car ici tout est à jamais désorganisé, c’est un peuple fini. Il fait douter de tout par ses sottises et son énorme vanité. Je crois que l’Allemagne a donné un grand repos au monde en nous rossant comme elle l’a fait.

Je vous demande une lettre en réponse bien longue. Que pensez-vous des peintures de Whistler que vous avez dû voir à la Dudley Gallery ;En 1871, la 5th Exhibition of Cabinet Pictures in Oil, Dudley Gallery, Egyptian Hall, Piccadilly présente notamment des nocturnes de Whistler. Edwards me dit qu’elles sont très discutées mais très bien. Je serais bien aise de savoir votre avis. J’aime bien Whistler et sa peinture et il y a si longtemps que je n’en vois ni n’entends rien dire. Je croyais qu’il devait passer l’hiver à Paris. J’ai vu Steinhardt et Artz, dîné avec eux. Il a été très aimable.

Quand vous lui écrirez, dites-lui bien des choses de ma part.

Que vous dire d’ici, je ne vois personne. Manet même, je ne le vois que rarement. Je n’aime plus que travailler, c’est là vraiment, quand on peut placer son travail, le seul intérêt de la vie. J’ai des moments de rage de travail. Je continue ce que j’ai toujours fait et vous voyez chez Edwards tout ce que je fais. Quelquefois je vais faire des esquisses au Louvre qui a entièrement ouvert, que j’y trouve du plaisir et que je comprends bien des choses que je ne voyais pas. Mes affections sont toujours les mêmes, Véronèse, Corrège, Giorgion, Titien etc…

Italien plus que jamais, je fais de grands projets pour le Salon prochain, je ne suis pas encore décidé.Fantin est toujours hésitant sur la composition du Coin de table, F.577 qu’il présentera au Salon de 1872. Le Salon est à la même époque.Le Salon de 1872 ouvre le 10 mai au palais de l’Industrie. Il marque la reprise de la vie culturelle et sociale après la Commune. Je crois que vous n’avez rien à envoyer, car ils sont capables de refuser tout ce qui est allemand. Quand on pense que nulle part on exécute de musique de Wagner de crainte des hurlements du public.A la suite du conflit franco-prussien, la musique de Wagner est jugée sous un angle patriotique et non plus artistique. Elle est sifflée par le public et jusqu’en 1878, elle n’est plus que très exceptionnellement programmée à Paris. Je ne cesse d’être en rage après toutes ces brutes et je désire toutes sortes de punitions pour ce sale pays.

Avez-vous vu les Ritter, dites-leur bien des choses de ma part. Je ne peux écrire, je ne sais que dire. Maître me charge de vous dire bien des choses, il apprend la langue allemande pour pouvoir être au courant de ce qui se publie. Il a un partenaireAvant la guerre, Fantin aime se rendre le soir chez Maître, rue Taranne pour l’écouter jouer avec Bazille. Après la guerre ces réunions reprennent lorsque Maître retrouve un nouveau partenaire en la personne d’Adolphe Jullien (1845-1932). Elles cessent durant l’année 1875. qui remplace avec avantage ce pauvre Bazille. Toujours Schumann qui me plaît de plus en plus. On a rien de nouveau ici de Bhrams ou Brhams, je ne me souviens plus.

Voyez-vous Legros ; parlez-moi de ce que vous faites. J’aimerais bien voir de vos dessins sur bois. Est-ce que vous aimez cela à faire ; vous avez dû faire bien des choses depuis votre dernière lettre. J’aimerais bien dans vos lettres un petit croquis, esquisse, de ce que vous faites. Ce que l’on fait se comprend bien mieux. Écrivez-moi bien long. Dites-moi les idées qu’il y a dans les artistes anglais aujourd’hui. Je commence à oublier depuis le temps que j’ai quitté Londres.

Vous devez entendre et voir des artistes là et les tableaux dans les expositions. Que cherchent-ils aujourd’hui, que dit-on de la peinture française.

Adieu mon cher Scholderer, dites bien des choses de ma part à Madame. J’attends de vous une lettre. Si vous saviez comme cela m’intéresse tout ce que vous faites.

H. Fantin la Tour.

82 rue Bonaparte

Vous allez voir des nouvelles choses de moi chez Edwards. Dites-moi votre opinion.

Des critiques, je vous prie.