Perspectivia
Lettre1876_15
Date1876-10-12
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Wagner, Richard
Mendelssohn
Cornelius, Peter von
Lenbach, Franz Seraph von
Leibl, Wilhelm
Menzel, Adolph
Edwards, Edwin
Dubourg, Victoria
Frédéric II de Prusse
Degas, Edgar
Manet, Edouard
Lieux mentionnésParis
Munich
Munich, galerie Schack
Œuvres mentionnéesF Pieds-d'alouette
F Pivoines
F Baigneuse inquiète
F Baigneuse debout

8 Clarendon Rd Putney Surrey

12 Oct. [18]76

Mon cher Fantin,

Je dois vous demander bien pardon de n’avoir pas encore répondu à vos deux dernières lettres, mais il y avait bien des choses quoiqu’elles n’étaient pas graves, qui m’ont empêché de le faire, d’abord les préparations pour un petit voyage au bord de la mer que le médecin a voulu que ma femme fasse. Nous sommes allés à Littlehampton, un petit endroit à la côte du sud de l’Angleterre. D’abord ma femme a été encore bien faible et savait à peine marcher, peu à peu elle a repris ses forces. Depuis deux jours nous sommes de retour et le change d’air et d’habitudes nous a fait du bien. J’ai fait quelques esquisses au bord de la mer, c’était si beau, je trouve qu’il n’a rien de plus beau que la mer.

Je ne sais pas pourquoi j’ai cru que vous étiez seul à faire votre voyage et je suis très content que ce n’était pas ainsi, puisque cela aura rendu votre voyage beaucoup plus agréable et charmant. Vos descriptions de Bayreuth et de Wagner m’ont bien intéressé et je m’imagine comme cela a dû être beau et quel plaisir vous avez eu, aussi je vous remercie bien de la photogr. de Wagner. Je dois avouer qu’il est difficile de découvrir un homme de génie là-dedans, mais on voit bien que c’est un homme qui a fait tout ce qu’il a su faire, qui a bien profité de ses qualités, surtout une grande énorme énergie que je peux découvrir, il est bien sûr de son affaire, on voit cela. Je ne sais pas quel succès il a eu en général, pas même ce qu’on dit de lui en Allemagne, ici il paraît qu’on ne le comprend pas encore, les musiciens d’ici qui ont été à Bayreuth, ont parlé de cela comme d’un fiasco, mais où on aime Mendelsohn on doit haïr Wagner c’est bien clair.

Vos jugements des peintres et de l’art allemand m’a aussi beaucoup intéressé, je savais que Cornelius vous plaira, mais vous n’avez pas vu ses cartons, ce sont les meilleures choses de lui. Je suis étonné que vous rendez tant d’hommage à Lenbach. Il est sûr que c’est un des plus développés comme artiste il y a de la finesse, mais j’ai trouvé pourtant qu’il manque un peu trop d’originalité, si je peux me servir de ce mot, il est fort rusé, je le sais, se donne beaucoup de peine. Avez-vous vu beaucoup de ses choses, je n’ai vu que celles de la galerie Schack.Le comte Adolph Friedrich von Schack (1815-1895) rassemble au fil des années 1860 et 1870 une collection de peintures. Il promeut les jeunes artistes tels que Arnold Böcklin, Anselm Feuerbach, Franz von Lenbach et Hans von Marées, et regroupe un important ensemble d’œuvres allemandes des premières années du XIXe siècle parmi lesquelles figurent de nombreux paysages et les noms de Peter von Cornelius, Karl Rottmann, Karl Spitzweg, Moritz von Schwind. Sa collection installée depuis 1874 dans un palais construit par Lorenz Gedon dans la Brienerstrasse à Munich est alors facilement accessible au public. Je dois dire que j’aimais mieux ce que faisait Leibl. Il y a très longtemps que je n’ai rien vu de lui. Je ne vous ai pas dit qu’étant en Allemagne, j’ai vu une photogr. d’après un dessin de MenzelAdolf Menzel (1815-1905), peintre et graveur allemand. Ses dessins et ses peintures font de lui l’un des principaux représentants du réalisme en Allemagne. Sa popularité naît en 1839 d’un cycle d’illustrations pour le livre de Franz Kugler sur la vie de Frédéric le Grand. Il bénéficie en son temps d’une importante réputation en France, où il séjourne en 1867 et fait la rencontre de Degas, Manet et probablement de Fantin. – que vous connaissez bien – qui m’a paru de beaucoup la meilleure chose moderne que j’ai vue en Allemagne et chez lui personne n’en parle.

J’ai vu chez Edwards de très belles choses de vous, surtout votre tableau des pieds-d’alouette,Fantin-Latour, Pieds-d’alouette, F.788. Il existe une autre nature morte Pieds-d’alouette datée de 1882, F.1085. cela me semble avoir une poésie extraordinaire, comme un paysage. Les pivoines rougesFantin-Latour, Pivoines, F.784. sont très neuves, très osées, si vous me permettez cette expression. L’esquisse de la baigneuse est charmante, je voudrais bien la posséder.Il n’existe pas de Baigneuse de 1876 dans le catalogue de Mme Fantin. Deux Baigneuses sans date certaine sont cependant répertoriées : Baigneuse inquiète, F.2243 et Baigneuse debout, F.2245. Cette dernière est une esquisse faite pour la lithographie n° 27 du catalogue Hédiard. Je ne sais pas comment vous avez fait tout cela en si peu de temps. Je m’attends dans votre prochaine lettre d’avoir la nouvelle de votre mariage et ma femme aussi. Elle écrira à Mademoiselle Dubourg vraiment un de ces jours. Nous espérons que tout va bien chez vous. Est-ce que la nouvelle demeure est devenue jolie ? Je regrette, comme toujours de n’être pas avec vous, j’ai bien négligé mes travaux et mes modèles posent si mal, elles sont presque tous malades, je suis déjà beaucoup dégoûté de la peinture de portraits.

Adieu, rappelez nous au bon souvenir de Mlle Dubourg et sa famille, nous avons pensé si souvent aux temps, si-trop charmants que nous avons passés à Paris avec vous l’année dernière. Ma femme vous fait dire bien des choses.

Ne tardez pas à nous donner de vos nouvelles.

Votre ami.

Otto Scholderer