Perspectivia
Lettre1878_13
Date1878-09-29
Lieu de créationPutney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesScholderer, Luise Philippine Conradine
Durand-Ruel, Paul
Millet, Jean-François
Flaubert, Gustave
Balzac, Honoré de
Dubourg, Victoria
Esch, Mlle
Eiser, Otto
Scholderer, Emilie
Scholderer, Ida
Memling, Hans
Edwards, Edwin
Edwards, Ruth
Dubourg, Jean-Theodore
Dubourg, Hélène
Dubourg, Charlotte
Delacroix, Eugène
Rousseau, Théodore
Barye, Antoine-Louis
Ricard, Louis Gustave
Troyon, Constant
Corot, Jean-Baptiste Camille
Courbet, Gustave
Daubigny, Charles-François
Decamps
Diaz de la Pena, Narcisse
Tassaert, Octave
Lieux mentionnésParis
Francfort-sur-le-Main
Paris, Exposition Universelle, 1878
Bruxelles
Heist (Région flamande)
Bruges
Paris, Exposition rétrospective de tableaux et dessins des maîtres modernes, galerie Durand-Ruel (1878)
Ostende
Paris, galerie Durand-Ruel
Paris, Salon
Douvres
Wakefield
Anvers
Œuvres mentionnéesS Eselreiter und Segelboot am Dünenstrand (garçon sur un âne et voilier sur une plage de dunes)
S Esel mit einem kleinen Mädchen (âne avec une petite fille)
S Düne und Strand mit zwei Fischerbooten (dune et plage avec deux bateaux de pêche)
S Dünenlandschaft mit drei Figuren staffiert (paysage de dune avec deux figures)
S Dünenlandschaft bei Heyst in Belgien (paysage de dunes près de Heist en Belgique)
S Ein Eselreiter in den Dünen (garçon sur un âne dans les dunes)
S Portrait of a Lady - Flämische Bauersfrau in malerischer Nationaltracht (paysanne flamande en costume national)
S Flämische Bauersfrau (paysanne flamande)
S Porträt von zwei Mädchen in Wakefield (portrait de deux jeunes filles de Wakefield)
S General Viscount Templetown (général vicomte Templetown)

Putney

29 Sept. [18]78

Mon cher Fantin,

Depuis 8 jours nous sommes enfin rentrés chez nous, et je ne peux plus tarder de vous donner des nouvelles de nous, je suis sûr que vous les attendez depuis longtemps. Peut-être vous êtes aussi à Paris maintenant, quoique je vous souhaiterais de rester aussi longtemps que possible à la campagne, je suis convaincu que cela vous a fait du bien et surtout aussi à Madame. J’espère que vous trouverez votre maison neuve et propre, et l’atelier dans un état parfait. Les jours que j’ai passés à Paris me paraissent comme un rêve,Scholderer a fait un court séjour à Paris en juillet 1878 pour visiter l’Exposition universelle. au bord de la mer je me suis bientôt remis de la fatigue que la masse des choses et tableaux, que j’avais vus, m’ont causée. J’ai bien travaillé, j’ai fait à peu près une quinzaine d’études de paysage,Bagdahn repère trois paysages réalisés durant le séjour en Belgique, à Heist : Düne und Strand mit zwei Fischerbooten, B.166 ; Dünenlandschaft mit drei Figuren staffiert, B.167 ; Dünenlandschaft bei Heyst in Belgien, B.168. puis deux tableaux d’un âne avec un garçon dessus, l’un est demi grandeur naturelle,Scholderer, Ein Eselreiter in den Dünen, B.163. l’autre plus petit,Scholderer, Eselreiter und Segelboot am Dünenstrand, B.164. puis un autre âne avec une petite fille dessus,Scholderer, Esel mit einem kleinen Mädchen, B.165. Il semble que Jutta Bagdahn n’ait créé ce numéro qu’à la seule lecture de cette référence dans la correspondance entre Fantin et Scholderer alors que rien n’atteste la réalisation effective de cette œuvre. ensuite une vieille femme moitié nature dans le costume du pays avec les mains, assise, celle-ci, je crois est bien réussie,Scholderer, Portrait of a Lady – Flämische Bauersfrau in malerischer Nationaltracht, B.171. puis la même femme, tête en grandeur naturelle.Il doit être ici question de Flämische Bauersfrau, B.172. Les dunes de Heyst sont admirables,Heist, station balnéaire de Belgique (Flandre occidentale) sur la mer du Nord, à l’est de Zeebruge. cela m’a fait le plus grand plaisir de faire ces études, je crois que vous seriez content de quelques-unes.

Nous nous portions très bien au commencement, mais nous nous trouvons tous les deux très faibles depuis que nous sommes ici, et nous nous demandons si vraiment le séjour au bord de la mer est tant à désirer, je crois que nous sommes restés trop longtemps. La traversée d’Ostende à Dover était dure et mon estomac en est encore forts dé[ran]gé, cela me fait toujours du mal. Nous sommes bien curieux d’apprendre comme vous avez passé le temps à la campagne et nous espérons que vous soyez revenus plus fort que nous. Aussi j’espère bien que vous aviez eu besoin de vous reposer bien. Voilà l’hiver bien près, quoiqu’il fait encore beau temps, mais ici on ne peut pas se fier sur le mois d’octobre.

Pendant que nous étions à Heyst, j’ai eu une commande de faire 3 portraits, ce serait bien agréable si je ne fusse pas obligé de les faire chez les gens au nord de l’Angleterre à Wakefield, c’est deux jeunes filles sur un portraitScholderer, Porträt von zwei Mädchen in Wakefield, B.173. et un officier en uniforme rouge,Dans la lettre 1876_03, Scholderer fait référence au portrait d’un général en rouge ; Bagdahn en conclut qu’il s’agit du même que celui mentionné dans cette lettre et le classe sous le n° 174 de son catalogue General Viscount Templetown, B.174. Dans la lettre 1878_15, Scholderer revient de la campagne où il dit avoir réalisé des portraits ; il explique à Fantin qu’il a dû peindre un officier en rouge, fils du maître de maison. Il ne s’agit donc sans doute pas du général vicomte Templetown. Il est vraisemblable que le n° 174 du catalogue de Jutta Bagdahn corresponde à l’œuvre mentionnée en 1876 et qu’il faille la distinguer nettement de celle de 1878. ils sont pour une famille dont le père a déjà acheté quelques de mes natures mortes. Mais en somme j’en suis fort content ou plutôt je dois en être fort content, quoique je dois laisser ma femme à Putney dont nous ne sommes pas du tout contents, d’autant plus que cela me prendrait beaucoup de temps de faire les portraits. Mais après, nous serons encore riches, nous avons l’intention d’aller passer une quinzaine de jours à Noël à Francfort, si nous pouvions venir aussi à Paris ! Nous l’espérons !

Comme je voudrais voir encore une fois seulement l’Exposition de Durand Ruel,En 1878, le jury de l’Exposition universelle met notamment à l’écart les œuvres de Delacroix, Millet, Rousseau, Decamps, Barye, Ricard, Troyon. En réponse à ce choix, Durand-Ruel organise du 15 juillet au 1er octobre 1878 une exposition de trois cent quatre-vingt tableaux intitulée Exposition rétrospective de tableaux et dessins de maîtres modernes. Il montre les œuvres de Barye, Chintreuil, Corot, Courbet, Daubigny, Decamps, Delacroix, Diaz, Fromentin, Paul Huet, Millet, Ricard, Rousseau, Tassaert, Troyon. Voir Archives de l’impressionnisme, éd. par Lionello Venturi, 1939, t. II, Mémoires de Durand-Ruel, p. 208-209. quelles belles choses, cela seulement vaut déjà bien la peine de faire un voyage à Paris, comme cela m’a touché, j’y pense bien souvent et l’Exposition universelle s’est effacée devant ces tableaux de ma mémoire, c’est toujours Millet que j’admire le plus, ce sont surtout ses sujets qui me plaisent tant. J’ai relu Madame Bovari,Madame Bovary de Flaubert est publié en librairie en 1857. cela m’a fortement plu, je trouve que c’est un livre admirable, je voudrais maintenant lire autre chose de Flaubert. Mais César BirotteauCésar Birotteau de Balzac est publié en 1838. est un véritable chef-d’œuvre, il me semble que c’est la plus belle chose de Balzac, il y est tout entièrement, on voit comme il s’est surpassé lui-même en l’écrivant, comme son sujet l’a emporté.

Je ne vous ai pas encore remercié de votre lettre que j’ai reçue à Heyst, et aussi ma femme me charge de remercier Madame pour sa bonne lettre, depuis longtemps elle a l’intention de lui répondre, mais je crains qu’elle soit en ce rapport aussi incorrigible que moi.

Nous avons appris avec regret que Mlle Esch a dû quitter encore sa nouvelle position, heureusement elle paraît prendre les choses comme elles sont, mais vraiment elle n’a pas eu de chance dans le dernier temps, nous sommes cependant bien heureux que sa santé est bonne et que l’air de la campagne lui a fait du bien, le courage alors va revenir. J’ai bien descrit votre intérieur à ma femme, elle sera si contente de vous revoir, après un si long espace de temps !

Vous aurez sans doute reçu une lettre de remerciement du Dr. Eiser, que j’ai vu à Bruges, et qui était fort flatté des lithographies dont vous lui avez fait cadeau, et qui les admirait beaucoup, nous avons accompagné ma mère et ma sœur jusqu’à Anvers et y ont passé un jour, nous n’avons vu que la cathédrale et le musée, malheureusement il n’y avait plus temps pour le tombeau. J’ai beaucoup admiré l’ascension de la vierge, un tableau qui est conservé merveilleusement.Peter Paul Rubens, Ascension de la Vierge, 1625-1626, huile sur toile, 490 x 325 cm, Anvers, cathédrale. Il y a de beaux tableaux au musée, les deux grands Rubens, admirable ! Le superbe Quentin Matsys. A Bruges, les Memling’s qui sont superbes, surtout le petit, et un petit à l’Église Notre Dame, un Martyr qui est déchiré par quatre chevaux, celui me semble un des plus beaux.Scholderer fait ici référence au triptyque du martyre de saint Hippolyte (vers 1470-1472, panneau central 91 x 91 cm, volets 91 x 40 cm, Bruges, cathédrale Saint-Sauveur) commandé par Hippolyte Berthoz, conseiller de Philippe le Bon. Un inventaire de l’église datant du XVIIe siècle et nombre d’auteurs du XIXe siècle ont attribué à tort cette œuvre à Memling. On pense aujourd’hui qu’elle est de la main de Dieric Bouts et que le volet représentant les donateurs est de Hugo van der Goes.

J’ai lu une critique très flatteuse sur votre tableau à Bruxelles, dans l’Étoile Belge, ce qui nous a fait bien plaisir. Je suis très curieux d’apprendre ce que vous avez fait dernièrement, sont-ce des fleurs, pas de paysage, pas de fruit au soleil. J’ai trouvé que cela ne vaut pas la peine de faire de figures au soleil, j’ai essayé un âne au soleil, l’autre sans soleil et il n’y a que l’ombre portée du premier qui change considérablement le tableau, les couleurs pas autant que je l’avais pensé, mais je trouve cela ne vous paye pas pour la peine que vous vous donnez pour combattre le soleil, surtout l’inco[n]vénient que cela vous cause, on ne voit guère ce qu’on fait. Des petits paysages, c’est autre chose, j’aime assez d’en faire.

Je n’ai rien entendu et lu des Edwards, je ne sais pas même s’ils sont revenus de la campagne. Je dois aller à WakefieldScholderer se rend à Wakefield, au nord de l’Angleterre, dans le Yorkshire, pour exécuter des portraits de commande. le 5 octobre, j’espère bien d’avoir un mot de vous avant mon départ – si vous avez le temps, car nous voudrions bien savoir comment vous et Madame allez. Bien des choses de nous deux à elle, aussi bien des choses à vous de ma femme. Saluez bien je vous prie aussi Mlle Esch de notre part et bien des compliments à Monsieur et Madame Dubourg, et à Mademoiselle Charlotte, nous espérons que tous vont bien.

Adieu !

Votre ami

Otto Scholderer