Perspectivia
Lettre1879_07
Date1879-03-14
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Edwin
Edwards, Ruth
Cornelius, Peter von
Menzel, Adolph
Scholderer, Luise Philippine Conradine
David, Jacques-Louis
Steen, Jan
Hals, Franz
Holbein
Bellini, Giovanni
Giorgione
Balzac, Honoré de
Dubourg, Victoria
Esch, Mlle
Gellée, Claude
Richter, Jean-Paul
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Francfort-sur-le-Main
Œuvres mentionnéesF Duo des Troyens
F Scène finale de la Walküre
F Manfred et Astarté
F Étoile du soir
F Début de la Walkyrie
S Porträt der Luise Scholderer (portrait de Luise Scholderer)

8 Clarendon Rd Putney

14 mars 1879

Mon cher Fantin,

Aujourd’hui un mot seulement, d’abord pour vous remercier des belles lithographies que j’ai prises chez Edwards, elles sont très belles. La répétition de la scène des Troyens surtout est celle que j’admire,Fantin-Latour, Duo des Troyens, H.22. il me semble que cela soit le moment après la première représentation de la même situation, l’homme y paraît plus enchanté et la femme moins effrayée, l’effet de la lune est peut-être encore plus beau que sur la première. Wotan entourant Brünhilde du courant de feu est fort bien réussi.Fantin-Latour, Scène finale de la Walküre, H.24. La nouvelle feuille de ManfredFantin-Latour, Manfred et Astarté, H.21, 1er état : sans nom d’imprimeur ; tiré à 6 ou 7 épreuves d’essai. 2e état : avec Imp. Lemercier et Cie, Paris ; tirage à 25 exemplaires. est bien supérieure à la première aussi, c’est bien difficile à représenter je trouve. L’étoile du soir, j’aime beaucoup !Fantin-Latour, Étoile du soir, H.25. Aussi Siglinde donnant à boire à Sigmund est charmant.Fantin-Latour, Début de la Walküre, H.23. J’ai maintenant une belle collection de vos lithographies et j’ai commandé un grand carton pour les y mettre toutes. Vous me donnez bien envie d’essayer d’en faire, mais pour des sujets réalistes je ne sais pas si c’est un matériel convenable, croyez-vous que les natures mortes seraient bien en lithographie ? Vous avez voulu essayer des fleurs ? Avez-vous reçu les autres choses de Francfort, les photographies d’après Cornelius et Menzel ? On vient de m’écrire qu’on vous les a envoyées en deux paquets et que peut-être c’est perdu ? Écrivez-moi un mot qu’en cas qu’on puisse le réclamer à la poste.

Il ne faut pas prendre trop au sérieux ce que j’ai écrit sur Menzel, car je ne l’admire hélas que trop, surtout en ce moment où je viens de faire un fiasco complet avec le portrait de ma femme, et moi je n’ai pas travaillé dans une forge avec 80 degrés de chaleur ! Oui, les Prussiens sont forts, mais ceux qui sont plus faibles doivent les haïr. Mais une chose que j’ai éprouvée est vraiment désagréable cela me rend bien triste, même le Christ au temple, je ne sais pas pourquoi.Menzel, Christus als Knabe im Tempel, Bock 406,1852, lithographie, 43,5 x 57,7 cm.

Avec le beau temps, j’espère que vos forces soient revenues et que vous avez bientôt achevé votre tableau et que ce soit réussi, dont je ne doute pas cependant. Je recommence le portrait de ma femme, jamais portrait ne m’apparut plus difficile,Ce travail sur le portrait de sa femme conduit Scholderer à la réalisation du Porträt der Luise Scholderer, B.177. j’aimerais bien pouvoir dire avec David : tout cela n’est pas si difficile que ça ! C’est bien flatteur que vous avez donné de si belles places à mes esquisses, j’espère de vous en envoyer mieux que cela cependant.

J’ai vu le pauvre Edwards, pendant mon absence il a vieilli on dirait de vingt ans, il commence à s’éteindre, sa voix est devenue faible, il est maigre comme une squelette, il ne peut plus marcher, il m’a fait pitié et elle aussi elle en souffre beaucoup. Ce qu’il dit ne manque pas encore de bon sens, mais il a oublié tous les noms des personnes ce qui le contrarie beaucoup, il tâche alors de les trouver et n’en finit pas. La mort serait bien à souhaiter !

Nous avons eu une exposition de tabl. de vieux maîtresExposition annuelle de maîtres anciens et d’artistes anglais, voir Works by the Old Masters : and by deceased masters of the British school, including oil paintings, miniatures and drawings, Winter exhibition, Royal Academy of Arts, 10th year, Londres, 1879. magnifique, j’aurais voulu que vous eussiez vu un des plus beaux Jan Steen et un des plus beaux tableaux que j’ai vu en tout rapport. Un Franz Hals aussi très beau, d’une fraîcheur merveilleuse, cela m’a fait du bien, j’ai été enthousiasmé de cette collection. Des ClaudesClaude Gellée (dit le Lorrain) (1600-1682), peintre français. magnifiques ! Une collection de dessins l’a rendu plus attrayant, encore, surtout de Poussin et Claude et tous les Italiens dans la possession de la reine et sa collection de dessins de Holbein dont vous connaissez les photographies.

Un tableau encore une adoration des bergers par Giov. Bellini, vous aurait enchanté et quel Giorgion ! Quel dommage que vous n’ayez pas vu tout cela !

Nous aurons bientôt un piano qu’on nous enverra de l’Allemagne de la maison Steinberg qui sont les meilleurs et je vous engage à venir bientôt, nous allons avoir des concerts. Puisque Edwards est malade c’est un beau prétexte de demeurer chez nous, quand nous aurons delivré nos tableaux à l’Exposition !

Nous avons lu dernièrement Eugénie GrandetHonoré de Balzac, Études de mœurs. 2e livre, Scènes de la vie de province. T. 1, Eugénie Grandet, Paris, Furne, 1842-1848. de Balzac, cela a fait peur à ma femme. Mais j’ai été enchanté de cela. Je ne sais pas si la conception de ce drame n’est pas plus belle chose de Balzac. Ce que j’y regrette énormément, c’est la fin, le livre se termine en détails froids et quoique très naturel entièrement sans rapport avec la puissante description des premières scènes, la fin de BirotteauCésar Birotteau de Balzac fut publié en 1838. est magnifique et j’aurais dessiné quelque chose de semblable comme fin d’Eugénie Grandet, aussi aurait-il pas dû l’appeler Eugénie Grandet qui n’est pas la chose principale du livre, le père est l’histoire je trouve, la description de sa fille est ravissante, j’en été emporté, la mère est excessivement bien, mais c’est tout de même un très grand œuvre. J’ai lu GaudissartHonoré de Balzac, Études de mœurs. 2e livre, Scènes de la vie de province. T. 2, Les Parisiens en province : l'illustre Gaudissart, Paris, Furne, 1842-1848. et scènes de la vie de province, de Madame de la Baudraye,Madame de la Baudraye est l’héroïne des Parisiens en province : la muse du département, voir Honoré de Balzac, Études de mœurs. 2e livre, Scènes de la vie de province. T. 2, Les Parisiens en province : la muse du département, Paris, Furne, 1842-1848. vous avez sans doute lu ce dernier, est-ce un des derniers volumes de Balzac, il me semble, je trouve cela fort bien.

Avez-vous déchiffré Jean Paul ?Jean Paul (Johann Paul Friedrich Richter, 1763-1825), écrivain romantique allemand. Est-ce qu’on a traduit de nouvelles choses de lui ?Les œuvres de Jean Paul Richter ont été traduites en 1834-1835 par Philarète Chasles (Paris, A. Ledoux).

Adieu, nous vous souhaitons la meilleure santé ainsi qu’à Madame et espérons d’avoir bientôt de bonnes nouvelles de vous en ce rapport, aussi espérons-nous que Mlle Esch aille mieux, ma femme a commencé une longue lettre pour elle, elle l’aura un de ces jours.

Nos meilleurs compliments à vous tous.

Votre ami

Otto Scholderer