Perspectivia

Mon tres cher Frere

Les jours me paroissent des années me voyant privée depuis 5 semaines de vos cheres nouvelles. Malgré les amusements que je trouve ici, mon [v… ] tres cher Frere[,] je voudrois etre a Rome ou vos Lettres sont adressées. Les Jnterets du Coeur prevalent toujours chez moi[;] Le cher Frere y regne si despotiquement qu’vne ligne de sa part me [pa… ]paroit plus precieuse que toutes les richesses que [e… ]je vois chaque jours. Nous allons quiter aprés demain Florence[.]
Je suis come un aveugle né qui aquiert peu a peu la vue et parconssequant de nouvelles Jdées. Ce [Le ]que j’ai vu de L’Jtalie surpasse tous ce qu’on m’en a dit. Je me crois souvent enchantée et m’Jmagine que ce que je vois n’est qu’Jllusion. Mais je passe sous Silence Les Curiosité qui ce trouve ici, et vous | entretiendré du jeu de La Sibile dont M[onsieu]r de Richecour me fit le Cadeau. L’Assembleé fut a L’Jmperialino dans une grande Sale. Jl y avoit plus de 100 Dames toutes parées magniffiquement et le double de Cavalliers. On avoit dressé des gradins des 2 côtez [caue][? ]de la Sale sur lequels etoit la noblesse, et a fond deux [et un fautteu…][? ]fauteuills pour le Marg[rave] et pour moi, vis a vis etoit la Sibile ou plus tôt un petit garcon de qualité [qui etoit][,] 8 ans qui [et ]avoit a ses côtez les 2 Jnterpretes. C’etoit le comendeur Bondelmonte et le fameux proffesseur L’âmi. Je fus obligée de faire 3 questions a la Sibile qui repondit le premier mot qui lui tomba dans L’esprit. Les augures furent [fier… ]un discour sur la question et interpreterent [expli…][? ]La reponce dont [e…][? ]ils firent L’aplication. Jls y firent entrer votre panegirique et vous elleverent au dessus d’Alexandre et d’Aristote[,] sur lesquels rouloient la question. Jls citerent plusieurs passages de L’Anthi Machiavell et parlerent avec beaucoup d’esprit | et d’Eloquence. Jl faut de L’un et de l’autre et beaucoup d’erudition pour ce jeu. Je crois qu[’]il pouroit peutetre vous amuser, puisqu’on peut regler les matieres come on veut pour le serieux et le Badinage. Les Oracles fini [rent][?][ unleserlich ]Deux prêtres virent nous chanter des Jmprontus au son d’un Luth. Je donnois encore les sujets[.] Cett [c’est ]une chose surprenante que le talent de ses gens la[,] a debiter des vers a la verité fort mediocre[,] mais sans avoir jamais eu ombre de poësie. Cella est si peu rare que des païsan font ce metier la tous les jours[,] et meme des enfans de 10 a 12 ans. Rome le 14. [13 ][mai 1755 ]Je n’ai j’amais pu achever ma Lettre a Florence[,] je voulois la finir en chemin, mais j’ai étée si malade que je ne suis arrivée qu’avec beaucoup de peine ici. La poste est deja partie[,] ainssi je ne puis envoyer cette Lettre. Je me fie si fort a vos Bontez[,] mon cher Frere[,] que j[’]espere que vous me pardonerez mon Jmpertinance de vous ecrire a Batons | rompus[,] come je fais[,] et que vous me permetteré de vous ecrire tous les jours un mot[,] puisque cett [c’est ]toute ma satisfaction et que je n’ai ni le tems ni la force d’ecrire une Longue Lettre. J’ai penssé mourir de joye d’en [er ]trouver 4 des votres ici, que je vous plains[,] mon cher Frere[,] d’etre encore tourmenté de la goute, et que ne suis je assez heureuse de pouvoir me charger de vos meaux. J[’]espere qu’apresant vous en etes soulagé et que je serai bientôt tranquilisée par de bonnes nouvelles de votre part. Les fatigues sont si terribles ici que j’ai ètée sur le point d’y succomber ayant eu une forte attaque de Colique. Je suis foible[,] mais je me soutiens encore[,] ma tête se gouvernant bien.

Rome[,] le 15[ mai 1755][,] je profite de ce jour que j’ai conssacré au repos pour m’entretenir encore avec | vous[,] mon tres cher Frere[,] vous series L’hom[m]e du monde du monde [sic! ]le plus a plaindre de manquer de Societè, come vous faites[,] si vous ne trouviez en vous seul ce que vous cherchez en plusieurs autres. J’ai vu bien des gens pendent mon voyage et me suis Jnformée de tous cotez[,] sans avoir rien pu trouver qui put vous convenir. On m’a parlé en France et [de ]ici d’un Home fort estimé qui pour tous les Tresors de L’Unnivers ne seroit sorti d’Jtalie si son ami Scipion maphei [Scipione Maffei ]vivoit encore, mais qui presentement retourne en France. C’est un nomé Seguier. J[’]espere de le voir a Bologne et j’aurai L’honneur de vous mander ce que j’en pensse. J’ai trouvé la Contamine ici qui est d’une humeur charmente. Jl a fait les memes obsservations que moï[,] qui sont qu’on trouve dans toute les Eglises | des Bas relieffs et peintures tirées des metamorphoses dont plusieurs sont fort Jndessantes. Entre autre il y a une Leda au Portique de S[ain]t Pierre. La Contamine dit a un Abé: Je voudrois bien mettre une Jnscription sous ce Bas relieff. eh qui [que y ]mettriez vous repondit [cai… ]L’Abé. J’y metrois: Seigneur[,] protege moi sous L’hombre de tes ailes. C’est bien domage pour cett home qu[’]il soit sourd car il est souvent Drôle come un coffre. Je verai demain Le Cardinal Albani et Melini. Ce dernier[,] Patron des Alemands[,] m’a envoyé Ce [le ]qu’on nome la Corbeille. On me fait les plus grands honneurs ici. Mais le Marg[rave]: ne voit point les Card[ineaux]: et ne vera point le Pape[,] ni [n’y ]ayant pas moyen d’accomoder les choses a L’amiable. Cependant tout le reste des Princes et de La Noblesse s’est fait annoncer chez lui. On me presse de finir[,] La poste | allant partir. Je suis avec toute la tendresse et le respect imaginable[,]

Mon tres cher Frere[,]
Votre tres humble obeïssante Soeur et servante
Wilhelmine

[Florence, 5 mai 1755, et ]Rome[,] le [14-]16 de Mai 1755