Perspectivia

Mon tres cher Frere

Enfin[,] mon cher Frere[,] La rigueur de La Saison a diminué, le Rôsne degêllé m[’]a procuré une de vos cheres lêttres. Elle m’a servi de Beaume bien faisant pour me Rannimer[.] car enverité je comencois a craindre que[,] sans l’avoir merité[,] j’aurois le sort de la Feme de Lott[,] et que je me trouverois Statue de Glace. Nouveau [votre ]miracle que vous avez operé. Malgré tous cella et ceux que vous faites tous les jours[,] j’aprehende fort que vous ne aquererai j’amais la qualité de S[ain]t[.] Pour moi qui suis en Papimanie[,] je vous assure que L’air de Sainteté ne me guerit point, et que je ne cours auccun risque d’etre Beatiffiée. Je faits pourtant beaucoup de converssions[,] mais ce n’est | ni [p… ]pour le Paradis de Calvin ni pour cellui de Lutter. J’ai enfin trouvé un bon Apotre avec qui je passe des journeés entieres. Sa Doctrine est exelante et je suis perssuadée que si vous le conoissiez[,] il auroit L’honneur d’etre admis a vos petites Societez. C’est le Fameux de la Contamines qui a été a Jerusalem[,] a Constantinople[,] et au Perou. C’est un home guai[,] aimable et charmant dans la Societé. Jl n’a qu’un deffaut qui fait peine[,] car il est sourd[,] ce qui ruine la poitrine de ceux qui s’entretienent avec Lui. Jl m[’]a Conté des particularitez tres Curieuses de ses Voyages. Le Dauphin a été fort mal. Le Duc de Bourgogne l’est encore ce qui Jnquiete tout le monde. On arme | a force de Bras plusieurs Vaisseaux de guerre a Brest[,] ce qui fait juger qu’on a dessein de faire quelqu’expedition en Amerique. Les choses vont de fievre en chaud mal avec le Roi[,] les Eveques et le Parlement[.] Je ne vous entretiens de ces choses qu’en passant car [q… ]vous en scaurez sans doute le detaill. Tous cella ne me plait point. Jl semble que faute d’Architecte L’Ediffice est pret a s’ecrouller. Les perssecutions continuent contre les Protestants. Je suis toujours dans L’Jdée qu’un tiers annime sous main ceux ci et leur fournit des armes. Quoiqu’on en fasse misteres[,] on scait que malgré les ordonances ils s’assemblent jusqu’au nombre de 20 milles armés de pied en cap. Le Duc de Richellieu en agit en home sage et | Judicieux. Jl diminue tant qu[’]il peut la rigueurs des Edits[,] et tache d[’]apaiser [de bes][? ]ses malheureux par des promesses et de bonnes paroles. C’ett L’Jntendant de Monpellier[,] autrefois amant de la Poisson[,] qui est cause de tous ce desordre[.] Jl bute au ministere et a cru y parvenir en faisant [se ]Le Zellé pour sa [se ]Religion et s’attirant par la la faveurs du Clergé. J’ai oublié de vous dire[,] mon tres cher Frere[,] que le Pape est JeanSeniste [,] qu[’]il desaprouve en particullier la Conduite des Eveques et qu[’]il ne veut point se meller dans leur dissentions. Tout le Royaume est contre eux[,] mais on n’ose se declarer ouvertement. Est t’il possible qu’on puisse s’entre dechirer pour un peu de Farine mellée d’eau et un peu de vin jusqu’a mettre Le desordre dans tout un Royaume. C[’]est une chose | bien honteuse pour l’esprit humain. J’aime autant une guerre qui ce fit entre deux Rois des Jndes pour un Elephant blanc. Je me recomende encore a votre precieux souvenir, et suis avec tout le respect et la tendresse Jmaginable[,]

Mon tres cher Frere[,]
Votre tres humble et tres obeïssante soeur et Servante
Wilhelmine

Avignon[,] Le 18 de Janv[ier]: 1755