Perspectivia
Lettre1866_01
Date1866-03-04
Lieu de créationFrancfort [sur le Main]
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesRothschild, Famille
Hardy -Alan,
Müller, Victor
Burnitz, Karl Peter
Vélasquez, Diego
Rembrandt
Watteau, Antoine
Chardin, Jean-Baptiste Siméon
Scholderer, Emilie
La Caze, Louis
Lieux mentionnésParis, galerie Lacaze
Londres
Paris
Munich
Francfort-sur-le-Main
Düsseldorf
Œuvres mentionnéesS Stilleben zur Dekoration eines Speisezimmers (natures mortes pour la décoration d'une salle à manger)
S Gemüseverkäuferin - Marché aux légumes/ Gemüsemarkt (marchande de légume)
S Stilleben mit totem Reh (nature morte au chevreuil)

Francfort [sur le main]

4 mars [18]66

Mon cher Fantin

Encore pardon du grave retard de ma lettre, il faut toujours que je commence avec une excuse, il y a longtemps que j’ai reçu votre bonne lettre, dont je vous remercie. J’ai été bien fâché que l’affaire avec notre marchand de couleurs n’est pas encore terminée, mais ce n’est pas ma faute ; le comptoir de Rothschild a fait un erreur, il fallait écrire plusieurs fois à Paris, mais maintenant l’affaire est réglée et Mr. Hardy peut toucher l’argent au comptoir, dites-lui que la prochaine fois que j’aurai des affaires avec lui, je tâcherai de ne plus lui faire tant de désagréments.

Que faites-vous, mon cher ami, je présume que vous êtes occupé avec un tableau pour l’exposition, j’espère bien de pouvoir le voir à cet endroit cette année, j’ai encore le projet de venir à Paris, mais je crains pas pour y rester malheureusement !

J’ai travaillé tout le temps à mes natures mortes pour la salle à manger, trois sont achevées, le quatrième j’ai commencé ; je trouve, pourtant, que ce n’est pas assez amusant de faire toujours des natures mortes ou tant de choses pour un peintre ne peuvent pas être exprimées, surtout la forme n’est pas assez intéressante des objets mortes ; et aux travaux que je fais maintenant, l’espace, le devant et le loin ne peut pas être exprimé non plus, toujours on est le nez sur les objets, c’est l’observation que j’ai fait quant à ces sujets, mais toujours il y reste assez d’intéressant pour un peintre, mais il n’est pas besoin de faire toute la vie des natures mortes.

J’ai l’intention d’aller à Düsseldorf cet été ou plutôt le plus tôt que possible, c’est un endroit terrible pour un peintre, il est vrai, mais c’est la seule place en Allemagne où on puisse vivre de sa peinture. Ah, comme je voudrais pouvoir vivre à Paris ! Mais il me semble que c’est une chose impossible pour moi, je n’y réussirai jamais, jamais, et maintenant comme j’ai passé encore des années en Allemagne où je me suis accoutumé à une vie tranquille, je ne crois pas que j’aurai assez de force pour lutter contre les exigences de la vie, il faut avoir vécu toute sa vie à un tel endroit pour être capable de le faire. Si seulement j’avais mille francs par année à ma disposition, mais je n’ai rien ; aussi maintenant, je n’aurai plus rien de ma mère, elle ne peut rien me donner, car elle a abandonné sa pension et veut terminer ses jours en repos, elle est trop âgée, naturellement ses épargnes ne sont pas celles qui peuvent nourrir une famille ; alors je suis obligé de gagner mon pain que jusqu’alors elle m’a donné ; c’est la cause pourquoi je veux aller à Düsseldorf, le hasard le fera peut-être que je trouverai un homme, seulement un je voudrais, qui me comprend et qui peut parler avec moi de l’art ; mais y être seul tout à fait ce serait terrible ! J’ai l’intention d’aller de là pour quelques semaines à Paris, je voudrais voir aussi Londres, mais je crois que cela ne me sert à rien, on ne peut pas voir cette ville en quelques semaines. Autrefois nous étions à trois à Francfort Müller, Burnitz et moi, l’un a donné de la fermeté et du courage à l’autre, ce ne sera plus rien maintenant, Burnitz restera à Francfort, c’est un Francfortois comme il faut, il aime rester à Francfort, Müller est à Munich, je crois que cela lui est terrible, il a non plus personne qui le comprend là-bas et pourtant il connaît tous les peintres et est obligé de ne pas critiquer leurs choses ! Comme je serais heureux de parler avec vous, mon cher ami ! Comme il y a longtemps que je ne vous ai vu, il y a huit ans maintenant, est-ce possible !

J’ai fait des progrès dans ma peinture, je crois, je deviens plus simple maintenant, je ne fais plus tant d’efforts dans la pâte, dans le ton, je suis retourné plus aux valeurs et je crois que la peinture entière y est cachée. Chaque jour, je regarde Vélasquez, ce sera mon maître toujours et chaque jour j’admire de nouveau sa simplicité. Une des choses dont l’idée déjà me réjouit, c’est de voir de nouveau la galerie Lacaze, que fait donc le bon homme, est-ce qu’il aime toujours quand on loue son portrait ? Comme je voudrais voir son Rembrandt, les deux plutôt, ses Watteau et Chardins, enfin j’espère que je verrai cela en peu de temps.

J’ai maintenant exposé mes deux natures mortes que j’avais à Paris, ils ont eu assez de succès, seulement on se moque du sujet, on le comprend moins encore qu’à Paris je crois, mais on trouve que je suis fort bon peintre, mais que le dessin n’est pas comme il faut et la composition pas d’après la règle (académie des beaux-arts), mais je crois que le monde à peu près est ici comme chez vous, c’est toujours une très petite groupe qui s’occupe de l’art, qui y réfléchit et ceux qui comprennent sont rares partout. Maintenant adieu mon cher Fantin, écrivez bientôt un mot.

Votre ami, O. Scholderer

45, Hochstrasse