Perspectivia
Lettre1875_15
Date1875-01-01
Lieu de création29 Eschenheimerstrasse, Frankfurt a/Main
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesDubourg, Hélène
Dubourg, Jean-Theodore
La Caze, Louis
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Scholderer, Ida
Raff, Joachim
Wagner, Richard
Brahms, Johannes
Chardin, Jean-Baptiste Siméon
Thoma, Hans
Scholderer, Adolphe
Scholderer, Emil
Dubourg, Victoria
Schopenhauer, Arthur
Esch, Mlle
Brouwer, Adriaen
Heem, Jan
Dubourg, Charlotte
Lieux mentionnésLondres
Paris
Paris, Musée du Louvre
Munich
Düsseldorf
Dresde
Cassel (Hesse)
Œuvres mentionnéesS Stilleben eines Fasanenpaars auf hellem Grund über grünen Zweigen (nature morte d'une paire de faisans sur un fond clair au-dessus de branches de verdure)
F La famille Dubourg

29 Eschenheimerstrasse, Frankfurt a/Main

[Automne 1875]

Mon cher Fantin,

je me reproche depuis quelque temps que je ne vous écris pas, et maintenant les reproches de ma femme et de ma famille s’y ajoutent que je crains vraiment aussi les vôtres, mais vous savez que c’est mon ancien défaut de ne pas écrire quand je le dois, mais je m’imagine pendant ce temps de longues et belles lettres que je sais écrire.

Le temps passe très vite ici à Francfort, presqu’aussi vite qu’à Paris, et nous devons penser maintenant de retourner à Londres. Malheureusement, il n’y a pas de commande qui me procurerait le plaisir de retourner à Paris et de s’y exécuter. Je le regrette beaucoup, comme aussi ma femme qui a été trop gâtée par les amis à Paris pour renoncer si facilement au plaisir de ne pas vivre encore une quinzaine de jours avec eux.En septembre, Scholderer et son épouse ont séjourné environ une semaine à Paris chez Fantin-Latour. Nous espérons bien de pouvoir passer (comme nous avons fait le projet à Paris) quelque temps avec vous à la campagne, ou mieux, au bord de la mer où aussi ma sœur nous joindrait ; je crois que cela fera beaucoup de bien à nous tous, ne croyez-vous pas ?

J’ai commencé à travailler un peu ici, mais seulement les matins, car les après-midi sont trop sombres et nous emmènent toute sorte de distraction. Nous allons beaucoup aux concerts et au théâtre ; nous avons vu Lohengrin.Lohengrin, opéra en trois actes, auquel Wagner travaille entre 1845 et1848. La création du Lohengrin de Richard Wagner a eu lieu le 28 août 1850 à Weimar au théâtre de la Cour, sous la direction de Liszt ; l’œuvre était à l’origine destinée à Dresde mais elle fut refusée en 1848 en raison des activités révolutionnaires de Wagner. La représentation était très bonne, le Lohengrin très très bien, cela m’a plu énormément, l’invention est belle et fraîche, le sujet charmant, mais vous le connaissez, j’aurai bien désiré vous eussiez entendu cela avec nous. C’était la seconde fois que j’ai entendu cet opéra, et j’ai bien éprouvé que j’avais entendu tant de musique neuve dans cet intervalle qui m’a préparé à le comprendre et le goûter beaucoup plus que la première fois. Je voudrais bien entendre Tristan et IsoldeWagner travaille de 1857-1859 à Tristan und Isolde, opéra en trois actes créé le 10 juin 1865 à Munich sous la direction de Hans Bülow. et peux facilement m’imaginer que c’est bien plus beau que le Lohengrin. Un nouveau quatuor de RaffJoachim Raff (1822-1882), compositeur allemand. En 1850, il assiste Liszt devenu Kapellmeister à Weimar. Il quitte Weimar en 1856 pour donner des leçons de piano à Wiesbaden. A partir de 1877 il est directeur du haut conservatoire de Francfort-sur-le-Main, poste qu’il conserve jusqu’à la fin de sa vie. Il est très réputé en son temps et est célébré au côté de Wagner et de Brahms comme un maître de la musique contemporaine. ne m’a pas fait beaucoup d’impression, c’est-à-dire, je l’ai moins compris.

Nous comptons de retourner samedi prochain à Londres et nous nous arrêterons à Düsseldorf pour deux jours. Il commence à faire bien froid, nous avons bien profité encore des beaux jours à Paris. J’ai fait une paire de faisansIl est vraisemblablement ici question de Stilleben eines Fasanenpaars auf hellem Grund über grünen Zweigen, B.145. Jutta Bagdahn dans sa thèse (Jutta Bagdahn, Otto Franz Scholderer 1834-1902. Monographie und Werkverzeichnis, thèse de doctorat inédite, Freibourg-en-Brisgau, 2002) situe la réalisation de cette œuvre au milieu des années 1870. La lettre 1875_15 permet de la dater de 1875. et je crois que le séjour à Paris et surtout le Louvre m’a fait faire quelques progrès. Je me rappellerai bien les nouvelles natures mortes de ChardinScholderer fait certainement ici référence aux quatorze œuvres de Chardin de la collection La Caze léguée en 1869 au musée du Louvre et qui n’étaient pas encore accrochées lors de son séjour à Paris en 1870. et quand je retournerai à Paris, je ferai une copie de la musique.Jean-Baptiste Siméon Chardin, Les attributs de la musique, 1765, huile sur toile, H.0,91, L.1,45, Paris, musée du Louvre.

Je suis très curieux d’apprendre ce que vous avez commencé, je regrette beaucoup de ne pas vous avoir vu travailler à votre atelier, ce que j’avais tant désiré, mais nous avons trop flâné et les jours passaient si vite !

Thoma est à Munich, je ne crois pas que je le verrai ici. J’ai vu quelques de ses tableaux qui me paraissaient plutôt bizarres que de représenter un véritable progrès, c’est difficile de faire des progrès à une place comme Munich. Je n’ai rien vu de nouveau à Francfort, la galerie de Francfort a reçu quelques nouveaux tableaux très beaux de Brouwer,Adriaen Brouwer (1605/1606-1638), peintre flamand de scènes de genre et de paysages. Jan HeenIl est question de l’un des peintres flamands de nature morte, Jan Heem ou Jan Davidsz. Heem (1606-1683). etc., les Flamands tout très bien. C’est tout ce que je peux vous dire, nous parlons beaucoup de vous, et ma sœur, et mes frères désirent bien de faire votre connaissance et espèrent de vous voir à votre voyage à Dresde et à Cassel. Je peux vous assurer qu’on mange très bien chez nous, ne vous laissez pas décourager par M. Dubourg,M. Dubourg ( ?-1889), futur beau-père de Fantin. Il était professeur d’allemand et vécut à Francfort. Il figure avec sa femme et ses filles sur le tableau de Fantin, La famille Dubourg, F.867. Les Scholderer ont dû le rencontrer lors de leur voyage à Paris fin septembre 1875. nous sommes assez gourmands à Francfort.

Est-ce-que Mademoiselle Dubourg a commencé de nouveaux tableaux, quel dommage qu’elle n’aime pas écrire, j’espère qu’elle se forcera un peu pour ses amis, et ma femme sera toujours trop content d’avoir de ses nouvelles. J’ai envoyé à M. Dubourg le livre de Schopenhauer par un libraire de Francfort et je le prie de me faire le plaisir de l’accepter, voulez-vous avoir la bonté de lui dire cela. J’espère que Madame DubourgMme Dubourg, ( ?-1896), future belle-mère de Fantin. Son mari et leurs filles figurent sur le tableau de Fantin La famille Dubourg, F.867. ait trouvé une bonne, nous avons tant regretté de lui causer tant d’embarras par notre présence dans cette calamité avec la servante. Mlle Esch nous a écrit qu’elle allait bien et a trouvé la famille plus charmante pour elle qu’auparavant. Je vous dis adieu mon cher Fantin, j’espère d’avoir un mot de vous avant notre départ pour Londres, quand j’y serai, j’écrirai avec plus de tranquillité.

Ma femme vous fait dire qu’elle regrette beaucoup que nous ne pouvons retourner à Paris, qu’elle y a été si heureuse. Elle vous dit bien des choses, ainsi qu’à Mlle Dubourg, et Madame et M. Dubourg, et Mlle Charlotte,Charlotte Dubourg (1848-1921), jeune sœur de Victoria Fantin-Latour et modèle de Fantin dans de nombreux tableaux. Elle est professeur d’allemand dans des institutions privées et reste célibataire. Elle est toujours très proche du couple de sa sœur et, après la mort de son père en 1899, déménage au 6 rue des Beaux-Arts à côté des Fantin. et moi aussi je vous prie de les bien saluer tous de ma part, nous espérons avoir bientôt de bonnes nouvelles de vous.

Votre ami

Otto Scholderer