Perspectivia
Lettre1880_09
Date1880-07-20
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesLhermitte, Léon
Esch, Mlle
Scholderer, Emilie
Callimaki-Catargi, Eva
Ingres, Jean-Auguste-Dominique
Taylor, Tom
Bastien-Lepage, Jules
Bastien-Lepage
Cazin, Jean Charles
Cazin, Marie
Dubourg, Charlotte
Dubourg, Jean-Theodore
Dubourg, Hélène
Lieux mentionnésLondres
Paris
Buré (Normandie)
Manchester
Paris, Salon
Londres, Grosvenor Gallery, 51a New Bond Street
Manchester, Royal Manchester Institution
Manchester, Royal Institution, 60th Exhibition of Works of Modern Artists, 1880
Œuvres mentionnéesF Portrait d'Eva Callimaki Catargi
S Selbstbildnis (autoportrait)
S Preparing for a Fancy Ball (Préparatifs pour le bal costumé)

8 Clarendon Road Putney

20 juillet [18]80

Mon cher Fantin,

J’ai voulu attendre avec ma lettre jusqu’à ce [que] Mlle Esch arrivât chez nous pour nous raconter tous les détails de votre vie passée et présente. Vous pouvez vous imaginer combien nous sommes contents d’avoir de bonnes nouvelles de vous et d’apprendre tout ce que vous faites ; nous avons été dans ces derniers jours plus dans la rue des Beaux-Arts que chez nous et nous parlons continuellement de vous.

Mais d’abord, je dois vous remercier pour toute la bonté que vous avez eue pour moi. Mon tableau est arrivé il y a quelque temps déjà, il me semble que vous devez être fatigué à avoir tant d’embarras avec vos amis et leurs tableaux. La panthère que Mlle Esch nous a apportée de vous m’a fait un très grand plaisir,Fa ntin offre une panthère en bronze à Scholderer. je la connaissais et je la trouve très belle, je vous en remercie bien, seulement je trouve que vous ne devriez pas dépenser tant d’argent et ne pas nous faire des cadeaux si précieux, l’argent est si rare en ce moment et vraiment nous ne savons pas si l’avenir sera mieux en ce rapport.

Nous trouvons que vous faites bien d’aller en NormandieA partir de 1880, les Fantin se rendent tous les ans dans la maison de Buré héritée par Madame Fantin de son oncle. au lieu de venir à Londres, car le mois de juillet n’est pas joli ici, il faudrait venir au milieu du mois de juin, c’est le temps, et espérons de vous voir l’année prochaine enfin ! Peut-être je vous verrai à Paris, vers Noël, ou un peu plus tard ou plus tôt, je crois que je dois aller voir ma mère qui a été très malade tout ce temps-ci, mais va mieux. Je viendrai seul naturellement, car nous ne pourrions pas voy[ag]er à trois ; mais ce sont des projets, il n’y a rien de certain encore. Mlle Esch nous a dit qu’il fallait ne plus vous embêter avec la question de votre atelier et que vous et madame tenaient à le garder, eh bien il y a au moins une consolation pour moi de savoir que vous allez bientôt prendre encore une autre pièce et dont Madame fera son atelier, ce qui me semble très bien, surtout en hiver et au printemps, quand il y a beaucoup d’humidité, et comme la pièce est plus petite que l’atelier et ne sera pas aussi difficile à la chauffer en même temps, il me semble que vous devez être contents d’avoir un peu plus de place.

Nous devons quitter Putney au mois de mars prochain, nous ne sommes pas encore décidés ce que nous allons rester à Putney, c’est trop loin de la ville. Mlle Esch nous dit que vous êtes tous les deux en bonne santé, ce qui nous a fait le plus grand plaisir, la Normandie vous fortifiera pour l’hiver. Ma santé en ce moment, comme toujours en été, n’est pas trop bonne, la neuralgie m’a rendu bien faible, je ne travaille presque pas, heureusement que l’argent chez nous n’est pas si rare en ce moment comme il l’a été pendant tout ce temps, et que je peux vivre en repos pour quelque temps.

Je suis bien honteux quand je pense comme vous travaillez ce que Mlle Esch nous a raconté. Le portrait de Mlle GalimachiFantin-Latour, Portrait d’Eva Callimaki Catargi, F.1016. Eva Callimaki Catargi, amie de Louise Riesener avec laquelle elle avait posé pour La leçon de dessin. sera un grand succès comme on dit ici, il me semble que c’est une des plus charmantes physiognomies que j’ai vues dans ma vie, nous serons bien enchantés de faire sa connaissance car Mlle Esch nous dit qu’elle ira vivre à Londres. Il m’a beaucoup amusé que la critique a cru que j’étais un de vos élèves,Joris-Karl Huymans présente Scholderer comme un élève de Fantin dans sa critique du Salon de 1880. A la fin de son éloge du Portrait de Louise Riesener par Fantin il note au sujet de l’autoportrait de Scholderer : « Je cite pour clore cet article, un portrait d’un de ses élèves, un Allemand, M. Schoderer, un portrait d’homme se détachant sur un de ces fonds gris qu’affectionne M. Latour. C’est une ample peinture très vivante qui, dans l’imitation un peu voulue du maître, dénote cependant en M. Schoderer un tempérament personnel de coloriste », dans L’art moderne. Certains, Paris, 1975, p. 138, cité par Peter Kropmanns, « “Qu’est-ce qui fait que nous sommes toujours séparés …” Otto Scholderer, un ami d’Henri Fantin-Latour », dans De Grünewald à Menzel. L’image de l’art allemand au XIXe siècle, éd. par U. Fleckner et T.W. Gaehtgens, Paris, 2003, p. 439-468, p. 453. j’en suis très flatté, premièrement qu’on me trouve des qualités semblables aux vôtres et puis qu’on me prend pour un jeune homme, cela me donne du courage et me fait espérer que je fasse encore bien des progrès, ce que je pense aussi. Mlle Esch me dit qu’on était horrifié de mon costume sur le portrait,Scholderer, Selbstbildnis (autoportrait, B.150, 1875-1876, huile sur toile, 96,5 x 76,5 cm, Francfort-sur-le-Main, Städelsches Institut). je ne sais pas pourquoi, c’est décidément l’ensemble qui est le mieux et je me flatte que c’est cette qualité qui a fait remarquer le portrait car, ce n’était pas le hasard qui me l’a fait choisir, un jour je m’arrangeai les cheveux dans la glace, et tout l’ensemble, avec le fond que le plafond me donnait, me semblait être bien à peindre, même je n’ai pas voulu supprimer la cravate bleue, qu’on porte beaucoup ici, et qui me semble caractéristique, je ne l’ai pas choisie, c’était une chose donnée ; l’exécution laisse bien plus à désirer.

Je vous remercie pour votre conseil pour la lithographie, aussi je suis content que le papier est celui dont L’hermitte se sert, j’ai toujours cru que c’était plus fin, comme autrefois ce qu’on nommait le papier Ingres que je n’ai jamais pu retrouver. Quand je viendrai à Paris, j’achèterai les couleurs dont vous me parlez, je peux en avoir ici de semblables, seulement les laques sèchent si difficilement ici, les couleurs sont très bonnes aussi à Londres.

La Grosvenor Gallery contient peu de choses remarquables, LepageJules Bastien-Lepage (1848-1884), élève de Cabanel. Il connaît ses premiers succès au Salon de 1874, obtient le second prix de Rome en 1875. Ses scènes de travaux champêtres rencontrent un succès important auprès du public. Son compromis entre classicisme et impressionnisme lui est reproché par de nombreux artistes et critiques. En Angleterre son œuvre reçoit beaucoup d’admiration et de reconnaissance. a un grand succès ici, c’est vrai que c’est ce qu’il y a de mieux, mais je n’ai pas de sympathie pour cette peinture, c’est un peu bête et beaucoup d’habileté. Le vieux gendarme avec sa femme qu’il nomme ses parents est encore le meilleur.Jules Bastien-Lepage séjourne cette même année 1880 à Londres. Il est question ici des portraits individuels de la mère et du père du peintre, qu’il a raccordés en diptyque à l’occasion du Salon de 1877 et expose sous le titre : Mes parents. Portrait de la mère de l’artiste, 1874-1875, huile sur toile, 103 x 77 cm, Nice, musée Jules-Chéret et Portrait du père de l’artiste, 1875, huile sur toile, 106 x 90 cm, Nice, musée Jules-Chéret. Tom Taylor, le critique de la Times, est mort il y a huit jours, il ne vous a pas fait du bien et j’espère que le futur critique vous reconnaîtra mieux.Tom Taylor (1817-1880), auteur dramatique et journaliste anglais. Il est rédacteur en chef du Punch à partir de 1874 et critique d’art pour le Times et le Graphic pendant de nombreuses années. Vous avez trouvé mon grand tableau bien anglais, c’est que toutes ces modèles représentent bien le type anglais, même dans leurs mouvements et costumes.Scholderer, Preparing for a Fancy Ball (Préparation pour le bal costumé, B.188, 1879-1880, huile sur toile, 150 x 210 cm, Francfort-sur-le-Main, coll. part.). Je ne ferai plus de tableaux de cette espèce. Mais cela m’a appris beaucoup, je n’avais pas assez de temps à le faire, il aurait fallu laisser reposer le tableau avant de l’achever, je l’enverrai à Manchester.Scholderer envoie son œuvre à la 60th Exhibition of the Works of Modern Artists de la Royal Institution de Manchester.

Mlle Esch nous semble devenue un peu maigre, mais pourtant sa santé paraît être plus forte qu’autrefois, elle est moins fatiguée et plus gaie, ce qui nous a fait bien plaisir. Elle nous a raconté du succès de Cazin, j’espère que lui et sa femme ont retrouvé leurs têtes qu’ils en avaient perdu un peu. Dites-leur bien des choses de notre part, si vous les voyez. J’ai encore une fois le projet d’envoyer des choses de notre part, si vous les voyez. J’ai encore une fois le projet d’envoyer une grande nature morte au Salon prochain, j’en veux faire cet automne aussi des figures avec natures mortes, cela me semble bien une chose pour moi. Je voudrais bien voir vos pastels, est-ce que vous n’en enverrez pas à Londres, est-ce qu’il y a moyen de bien les fixer ? Je veux finir ma lettre quoiqu’il y a encore bien des choses à écrire, ce sera pour la prochaine fois. Nos meilleurs compliments pour vous et madame, saluez bien aussi M. et Mme Dubourg, et Mademoiselle Charlotte. Adieu votre ami

Otto Scholderer