Perspectivia
Lettre1896_03
Date1896-02-18
Lieu de création7. St. Paul's Studios, West Kensington
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
Dubourg, Charlotte
Dubourg, Hélène
Daumier, Honoré
Diaz de la Pena
Millet, Jean-François
Corot, Jean-Baptiste Camille
Rousseau, Henri
Vélasquez, Diego
Breul,
Leighton, Frédérick
Scholderer, Viktor
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Lieux mentionnésLondres, Grafton Galleries
Londres
Paris
Paris, Salon
Œuvres mentionnées

7. St. Paul’s Studios

West Kensington

London

18 Fév 1896

Mon cher Fantin,

Je viens de prendre chez Mad. Edwards les photographies que vous m’envoyez et nous vous remercions bien, et surtout aussi Madame Fantin. Mon portrait est excellent, et nous étions bien contents d’avoir ceux de Madame Dubourg et de Mademoiselle Charlotte, et cela nous a fait tous bien plaisir.

Je vous remercie beaucoup aussi pour les lithographies de Daumier. Elles m’ont intéressé beaucoup et je ne les avais pas trop connues. C’est singulier que j’avais l’autre jour trouvé chez un antiquaire deux volumes du CharivariLe Charivari, journal satirique fondé en 1832 par Charles Philipon. avec ses dessins et j’aurais bien voulu les posséder, mais on m’avait demandé trop cher, et maintenant j’ai une belle collection, j’espère seulement que vous n’avez pas trop dépensé pour ces dessins, mais je le crains bien. Je les ai beaucoup regardées et elles me plaisent toujours davantage. C’est une personnalité toute entière, c’est franc, naïve et spirituel en même temps et c’est bien intéressant de voir ses progrès. Le couple qui regarde le comète par exemple est merveilleux d’invention et de simplicité.Il doit être question de l’une des gravures d’Honoré Daumier qui faisait partie de la série « La Comète de 1857 », HD.1182-1191, publiée en mars 1857 dans Le Charivari. Les joueurs de Domino au bain est excellent.Il pourrait être ici question de la lithographie de Daumier intitulée « … Domino ! ! … », HD.393, lithographie, 15,7 x 23,2 cm, planche publiée sans titre de série dans La Caricature, n° 24, 14 avril 1839. La barque avec les deux qui luttent et l’autre qui se balance dans la barque est bien beau.Vraisemblablement la lithographie de Daumier, « Une révolte à Bord » Ah ! tu veux faire ton capitaine ! … ah ! tu me traites de jobard ! … tiens … je veux que la Seine/ lave cette injure !, HD.981, lithographie, 25,3 x 20,4 cm, XIII de la série de 20 pièces « Les canotiers parisiens » publiée dans Le Charivari, 5-6 juin 1843. Et comme il sert du crayon et produit des effets forts et simples, j’aime beaucoup l’indication de ses paysages.

Nous avons une exposition françaiseA Loan Collection of Modern Pictures, chiefly of the Barbizon and dutch schools : to which is added a collection of 200 original drawings by Paul Renouard, and others : winter exhibition, January to end of March, 1896, cat. exp. Londres, Grafton Galleries,1896. ici avec quelques de vos fleurs, j’espère de voir un jour une grande Exposition de vos tableaux, car ces tableaux vous représentent bien incomplètement. Les Corots et Millets, j’avais vu déjà. Il y a de jolis Diaz et de beaux Rousseau.

J’ai voulu vous demander si vous connaissez quelqu’un à Paris qui pourrait y exposer le tableau du Velaquez dont je vous ai envoyé la photographie.Scholderer a proposé à Fantin d’examiner une photographie du Duc de Medina de Vélasquez qu’un de ses amis possède et qu’il croit authentique. Voir lettre 1894_02. Mon ami, M. Breul voudrait le vendre. Peut-être vous sauriez me donner un conseil. Les grands marchands à Paris sont bien chers pour leurs commissions, mais peut être ce serait mieux que de le donner à quelqu’un qui n’a pas de clientèle. Il me semble qu’on aimera le tableau à Paris, ici c’est toujours le sujet qui repousse les gens qui le trouvent si laid.

J’espère que vous et Madame se portent bien, nous allons assez bien et Victor a toujours son bon appétit.

J’ai eu encore deux commandes de portraits et j’en suis très content, car mes dettes sont bien grandes.

Je suis très curieux d’apprendre ce que vous faites pour le Salon, et je n’ai plus besoin de vous souhaiter du succès, car il me semble que vous devenez très « fashionable » à Paris.

La mort de Leighton m’a fait une impression et, quoique nous n’étions pas ce qu’on nomme amis, nous étions en bonnes relations, et il faut dire qu’il a toujours été bien bon pour moi. Je l’avais vu quinze jours avant sa mort encore, et je lui avais présenté Victor.

Cette affaire avec l’Afrique ne fait pas de bien aux Allemands, à Londres on les hait plus qu’auparavant.Pour s’assurer la mainmise sur le grand gisement aurifère découvert au Transvaal en 1886 et pour contrer les prétentions des Allemands sur le Sud-Est africain, Cecil Rhodes, Premier ministre britannique du Cap, souhaite réaliser l’unité des possessions anglaises d’Afrique. Mais il se trouve confronté aux prétentions des Boers dont l’indépendance avait été expressément reconnue en 1854. Rhodes espérait pouvoir les intégrer dans une large union sud-africaine. Les Boers, groupés autour du président du Transvaal, Paul Kruger, se lancèrent dans une véritable guerre pour l’indépendance (1899-1902). La capitale du Transvaal, Pretoria, capitula en juin 1900, mais une dure guérilla se poursuivit jusqu’à ce que le général Kitchener obtienne la reddition des Boers par le traité de Vereeniging (mai 1902). En de pareils temps, on sent comme les Anglais haïssent toutes les autres nations, quelle haute opinion ils ont d’eux mêmes, comme ils sont sûrs qu’ils marchent à la tête de la civilisation. Quelle horreur de penser qu’un jour tant de monde sera anglais ! Mon seul espoir sont les Russes, pour lesquels j’ai une grande admiration, voilà une nation qui aura le futur, d’une grande intelligence et encore bien naturel. Il me semble que les Anglais ont joué leur rôle dans le monde, ils n’ont plus d’idéal.

Pardon que j’ai oublié que la politique ne vous intéresse pas, mais je vous joindrai bientôt quant à cela, j’en aurai bientôt assez aussi.

Merci pour toutes vos bontés, nous vous envoyons tous nos meilleurs compliments et espérons que cette lettre trouvera vous et Madame en bonne santé.

Votre ami

Otto Scholderer