Perspectivia
Lettre1870_03
Date1870-08-25
Lieu de créationGais (Canton Appenzell), Hôtel du Bœuf
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesArtz, Constant
Steinhardt, Karl-Friedrich
Manet, Edouard
Fantin-Latour, Jean-Théodore
Graan, Jan de
Lieux mentionnésMunich
Francfort-sur-le-Main
Gais (Canton Appenzell Rhodes-Extérieures)
Bonn
Œuvres mentionnéesS Schweizer Landschaft, Mühle mit Wasserfall und Bäumen (paysage suisse, moulin avec cascade et arbres)

Gais, canton Appenzele [sic], Suisse, Hôtel du Bœuf

25 août 1870

Mon cher Fantin,

Je ne sais pas si ma lettre vous est parvenue, cependant je peux croire que au milieu de ces embarras et de ces événements tristes, vous ne soyez pas bien disposé à écrire. Mais je voudrais bien savoir comment vous allez et qu’est-ce que vous pensez de la situation. J’espère que la guerre soit bientôt finie et que Paris n’en souffrira pas. Ce serait bien triste et je crois que cela n’aidera à rien. Les Prussiens ont eu de la chance, comme ils l’ont toujours, surtout la chance de n’avoir pas commencé la guerre, quoiqu’ils ont été bien plus prêts que les Français comme on voit maintenant, on dit qu’ils connaissent la France mieux que ces derniers, et cela peut-être vrai.

Moi ici, à Gais, je lis très tranquillement des journaux français, et allemands, et suisses, et on juge mieux la situation. La Suisse est neutrale dans cette guerre, maintenant elle commence plus à incliner au côté allemand, c’est à dire très peu, mais la victoire a toujours les sympathies. J’ai peur pour Paris, qui en ce moment me paraît dans une situation très dangereuse, et j’ai peu de confiance en ce gouvernement provisoireA la suite des défaites françaises face à la Prusse début août 1870, le général Cousin-Montauban, comte de Palikao, succède à Émile Ollivier à la présidence du gouvernement. Il choisit tous ses ministres, sauf un, dans la droite bonapartiste et tente ainsi de provoquer un élan national. Tandis que l’empereur ne paraît plus capable de prendre et d’imposer une décision, Palikao commet de graves erreurs et subit à Paris de fortes oppositions. Après la défaite de Sedan et la proclamation de la République le 4 septembre 1870, Trochu, en tant que gouverneur militaire de Paris, constitue et préside un « gouvernement de la Défense nationale ». qui se compose d’hommes, à ce qu’il me paraît, qui ne comprennent pas trop la situation, mais je suis sûr que tout cela changera en quelques jours. Enfin nous allons voir. J’espère bien qu’on ne vous a pas fait soldat ? Comme je voudrais être à Paris maintenant, pour être au milieu de toutes ces choses, malheureusement on ne me laissera probablement pas entrer. Probablement vous pensez plus à la peinture, qu’est-ce qu’elle va devenir ! Les deux pays vont se ruiner pour quelques années au moins et qu’est-ce que nous deviendrons alors ! Les peintres de batailles renaîtront encore !

Je n’ai pas beaucoup travaillé ici, le temps était trop mauvais et l’est encore, depuis huit jours il a neigé dans les montagnes qui sont à trois lieues de nous. J’ai commencé un paysage de la grandeur de ma bouquetière, mais je crois qu’il ne sera pas achevé <petite cascade avec des arbres>.Scholderer, Schweizer Landschaft, Mühle mit Wasserfall und Bäumen, B.97. Le 2 Sept., nous quitterons Gais, ferons un voyage de huit jours en Suisse, et puis je retournerai par Francfort à Bonn où je me séparerai de mon compagnon, de la avoir avec un séjour de huit jours à Francfort, j’irai à Munich, et y restera jusqu’à la fin de la guerre.

Je n’ai plus de nouvelles de Artz et Steinhardt, est-ce qu’ils sont toujours à Paris, Steinhardt aurait pu profiter de l’occasion pour s’en aller et éviter de telle façon ses créanciers. Parmi ceux qui font la cure ici, il y a un Français et comme il a toujours encore des lettres de chez lui, j’espère que vous me ferez parvenir un petit mot, afin que je sache ce que vous faites et comment vous allez. Vous voyez sans doute Manet et les autres, qu’est-ce qu’ils disent de tout cela ! Écrivez-moi un tout petit mot. Adieu.

Bien des choses à M. votre père

Votre ami

O. Scholderer

Si vous voyez Artz et Steinhardt, saluez-les de nous deux